, envoyée spéciale à Brignoles – En votant pour le Front national (FN), arrivé en tête du premier tour des élections cantonales partielles du 6 octobre, certains électeurs cherchent à se prémunir contre une "menace salafiste". Deuxième épisode de notre série à Brignoles.
Résultats du premier tour de la cantonale
Abstention : 67,6%
Laurent Lopez (FN) : 40,4%
Catherine Delzers (UMP) : 20,8%
Laurent Carratala (PC) : 14,6%
Jean-Paul Dispard (Parti de la France) : 9,1%
Magda Igyarto-Arnoult (EELV) : 8,9%
"Vous vous rendez compte, il y a une boutique de niqab à Brignoles… En Provence, on aura tout vu !" Même si la boutique en question a fermé, Michel ne s’en remet pas. En parlant de "niqab", il n’est pas sûr que ce Brignolais retraité ait vraiment eu en tête le voile islamique, qui ne laisse apparaître que les yeux des femmes. Une tenue quasiment invisible dans les rues de Brignoles, petite ville du sud de la France. Selon le maire de la ville, Claude Gilardo, seules deux femmes portant le niqab ont été aperçues. Mais en cette période électorale, les fantasmes ont la dent dure.
Le Front national, qui a remporté le premier tour des élections cantonales partielles du 6 octobre, a mis une sourdine sur l’islamisation de la France. À Brignoles, les militants frontistes policent leur langage, et demandent l’autorisation de parler au chef, Laurent Lopez, arrivé en tête du premier tour de la cantonale partielle du 6 octobre. Les troupes sont bien cadrées ; les sympathisants moins.
"Lavée à l’Omo dans l’oued"
Un couple de personnes âgées ralentit le pas devant les drapeaux tricolores du petit local frontiste installé dans le centre-ville. "Merci !", lance l’homme au petit groupe de militantes, qui distribuent sourires et amabilités sans compter. "J’ai l’impression de ne plus être en France… avec tous ces salafistes…", reprend-il. "Parce qu’il y a des salafistes à Brignoles ?", demande-t-on surpris ? "Vous savez, ceux là, avec la barbe et la tunique blanche, lavée à l’Omo dans l’oued !" Il est le seul à en rire. Silence de Nathalie Monnot, suppléante du candidat FN. "C’est juste ce que pensent les gens, hein…", tient-elle à préciser.
Vérifions donc ce que pensent "ces gens". Mohammed Rgoud, imam de l’une des deux mosquées de Brignoles, sort justement de sa salle de prière, qui accueille régulièrement une centaine de fidèles. Il porte la barbe bien brossée, mais pas la "tunique" : il n’a qu’un banal pantacourt et un gilet zippé jusqu’au menton. Fervent défenseur de la laïcité, cet immigré algérien, qui a pris la nationalité française, refuse d’afficher ses convictions religieuses en public.
Quand on l’interroge sur l’éventuelle présence de salafistes à Brignoles, il hausse les sourcils, las. Il ne supporte plus de voir tous les projecteurs se braquer sur le FN et sur les fantasmes de certains de ses électeurs : "Vous leur faites de la publicité. Les gens ne sont pas sortis de chez eux pour aller voter, et ils récoltent ce qu’ils sèment. C’est tout ! Je suis musulman français, je vis à Brignoles depuis 42 ans, et je n’ai jamais eu de problème", assure-t-il. "Non, ici les gens ne sont pas vraiment Front national."
"C’est vous à la télé qui montrez tout le temps des terroristes !"
Des salafistes ? Voyons l’autre mosquée, qui sera peut-être plus prometteuse. "Si vous ne la trouvez pas, demandez à un jeune barbu…Vous verrez, ceux-là ne vous serviront pas le même discours, ils sont plus jeunes, plus radicaux !", nous avait prévenu une collaboratrice du maire. Sans guide, trouver la deuxième mosquée est en effet une gageure. Personne n’a l’air de connaître la rue Saint-Joseph, où elle est installée. "Vous cherchez le couvent ?", s’enquiert une vieille dame. "Non, la mosquée !" "Ah… Je ne connais pas... Pourtant je vis ici depuis 50 ans…"
La mosquée de l’Unicité se dévoile finalement au hasard d’une ruelle sinueuse, dans les hauteurs de la vieille ville. On n’y trouve qu’un abstentionniste, qui repeint la façade de la petite salle de prière, accueillant quotidiennement une vingtaine de personnes. Lui aussi a une barbe. Lui non plus ne porte pas de djellaba. Rapidement, il se met à poser les questions : "qu’est ce que vous pensez de ceux qui se font sauter ? Je vous le dis, ils n’ont rien compris à l’islam !" Pour les salafistes, on repassera…
Le jeune homme de 27 ans, qui préfère garder l’anonymat, a passé sa vie à Brignoles, et, selon lui, la peur de l’islam est moins le fait de la présence de musulmans dans la ville, que la faute des médias. "C’est vous, à la télé, qui montrez tout le temps des terroristes !" Le score du FN, il en a vaguement entendu parler, et cela ne le surprend ni ne l’effraie. "Mon voisin m’a dit ce matin qu’il avait voté FN ! On se dit bonjour tous les jours ! Alors vous voyez, il est pas vraiment raciste... " Il n'ira pas non plus voter dimanche prochain.
Et nous ne saurons donc pas s'il y a ou non des salafistes à Brignoles.