![Ovadia Yossef, le rabbin qui fit la pluie et le beau temps sur la politique israélienne Ovadia Yossef, le rabbin qui fit la pluie et le beau temps sur la politique israélienne](/data/posts/2022/07/18/1658162859_Ovadia-Yossef-le-rabbin-qui-fit-la-pluie-et-le-beau-temps-sur-la-politique-israelienne.jpg)
À 93 ans, le rabbin Ovadia Yossef, l’une des personnalités les plus influentes de la vie politique et religieuse d'Israël, s’est éteint ce lundi à Jérusalem. Retour sur la vie et la personnalité de cet érudit controversé.
"Charismatique, audacieux et tranchant". Les trois termes reviennent régulièrement dans les paroles de la journaliste franco-israélienne Pascale Zonszain, spécialiste du Moyen-Orient pour France Culture, à l’évocation du rabbin Ovadia Yossef. Ce monstre d’érudition talmudique, réputé pour être l’une des personnalités les plus influentes d’Israël, est décédé lundi 7 octobre à l’âge de 93 ans.
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À lui tout seul, ce dignitaire religieux séfarade, né à Bagdad en 1920, représente près de 50 ans d’histoire israélienne. Depuis sa nomination en tant que Grand rabbin de Tel-Aviv en 1968 jusqu’à sa mort, ce lundi, son influence fut telle qu’on l’appelait le "faiseur de rois". Fondateur et chef spirituel du parti ultra-orthodoxe séfarade Shass, créé en 1984, Ovadia Yossef comprend rapidement l’importance de séduire les séfarades, qui constituent la moitié des juifs d’Israël. Depuis toujours, cet électorat oriental a émis un vote de contestation face à l'appareil politique dominé par les ashkénazes, originaires d'Europe.
Dévotion populaire
Yossef fait de leur marginalisation un atout de poids pour servir ses ambitions personnelles et politiques. Le Shass devient alors le parti de la fierté séfarade. Et Yossef, un véritable objet de culte. De nombreuses personnalités, Benjamin Netanyahou en tête, se sont pressés à son chevet pour recevoir sa bénédiction.
Selon la police, les funérailles du rabbin Ovadia Yossef sont les "plus grandes de l'histoire d'Israël".
Une marée humaine de plus d'un demi-million de personnes a assisté lundi 7 octobre aux obsèques de l'ancien grand rabbin séfarade.
En dix ans, grâce à son réseau d'organisations caritatives, sociales et scolaires, il devient surtout la clé de voûte de toutes les coalitions gouvernementales et participe à toutes les grandes décisions politiques de l’État hébreu. Il fait, en somme, la pluie et le beau temps. "Yossef a fait de son parti un acteur incontournable de l’échiquier politique, rappelle Pascale Zonszain. Il a fait et défait des gouvernements. Il pouvait être le fléau de la balance électorale. Son parti a fait partie de presque tous les gouvernements israéliens, sauf, exception, celui de Benjamin Netanyahou, en ce moment."
Un rabbin révolutionnaire ?
Respecté par toutes les communautés juives du monde, Yossef était pourtant loin d’être un personnage consensuel. Mais son parcours atypique – il dirigea en 1950, à 30 ans, le tribunal rabbinique du Caire – associé à sa personnalité hors du commun – il était réputé pour avoir une connaissance complète de la halacha [la loi juive] – imposent aux autres une forme d’autorité naturelle incontestée. "Quand il décidait quelques chose, quand il prenait une décision, très peu de personnes osaient le contredire", précise la journaliste de France Culture.
Et des décisions controversées, il en prit de nombreuses. Parfois qualifié de "révolutionnaire", cet érudit annonça après la guerre de Kippour, en 1973, que les femmes de soldats disparus avaient le droit de se remarier. Une décision qui fit bondir la classe religieuse dans son ensemble. Puis, dans les années 1980, alors qu’Israël se demande comment "considérer" les juifs d’Éthiopie, il prend la décision de confirmer leur judéité. Un verdict qui amorça d’ailleurs les opérations de sauvetage des Falashas et permit leur émigration en Israël.
En 1993, surtout, il s’illustre pour son soutien aux accords d’Oslo signés par Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. "La vie est plus importante que les territoires", dira-t-il en admettant ainsi l’idée de concessions territoriales en échange de la paix.
Un rabbin réactionnaire ?
Mais ces prises de position n’en font pas vraiment un homme de "gauche" non plus. "Il a brouillé les pistes dès son entrée en politique. On ne peut le ranger ni dans un camp ni dans un autre", explique Pascale Zonszain. Sous la pression de sa base électorale, qui s’ancre de plus en plus à droite, le rabbin Yossef durcit peu à peu ses discours.
En 2000, il provoque un tollé en Israël en tenant des propos violents contre les victimes de la Shoah. "Les six millions de malheureux juifs qu'ont tués les nazis ne l'ont pas été gratuitement. Ils étaient la réincarnation des âmes qui ont péché et ont fait des choses qu'il ne fallait pas faire", avait-il lâché au cours de sa leçon hebdomadaire dans une synagogue à Jérusalem.
Le choc est d’autant plus violent que cette déclaration détonne avec ses positions précédentes. Pourtant, le rabbin, de plus en plus conservateur et misogyne, va devenir coutumier de ce genre de dérapages. "Ils [les Arabes] pullulent dans la vieille ville de Jérusalem comme des fourmis, qu'ils aillent au diable et le Messie les expédiera en enfer", a-t-il lancé devant ses ouailles dans une synagogue de Jérusalem en 2001.
Laïcité et le "mal"
Récemment, à 92 ans, il n’a pas hésité à s’en prendre avec virulence aux laïcs, en les comparant au "diable". "Quiconque envoie un enfant normal dans une école laïque se retrouve avec un démon […] Un homme qui met ses enfants dans une école laïque ne devrait pas pouvoir servir dans la fonction publique, même s’il observe les commandements et prie tous les jours. S’il envoie son fils à l’école laïque plutôt que de s’assurer qu’il étudie la Torah, il devient corrompu. Il devient le mal."
Gare toutefois "aux légendes" entourant ce rabbin, rappelle Pascale Zonszaï. Comme tout homme politique influent et charismatique, "Ovadia Yossef crée beaucoup de fantasmes", ajoute-t-elle. Reste à savoir si sa disparition déclenchera une féroce guerre de succession dans un parti rongé par les ambitions personnelles. Pour Pascale Zonszain, en tous cas, la réponse ne fait aucun doute. "Yossef mort, il est peu probable que son parti lui survive très longtemps…"