Au terme d'une campagne anti-Michael Bloomberg, le maire sortant, Bill de Blasio, très ancré à gauche, a été élu mardi à la mairie de New York. Portrait d'un démocrate progressiste qui fait figure d'ovni dans le paysage politique américain.
Passé du statut d’outsider à celui de grand favori en quelques mois, le démocrate Bill de Blasio s’est largement imposé, mardi 5 novembre, dans la course à la mairie de New York qui l'opposait au républicain, Joseph Lhota.
Selon les premières estimations, il a remporté plus de 70 % des voix. Cette victoire sans surprise vient clore une année de campagne durant laquelle Bill de Blasio, géant de près de deux mètres à l'allure dégingandée, s'est positionné comme l’anti-Michael Bloomberg, homme d'affaires milliardaire qui dirigea la ville pendant 12 ans.
Avec ses discours passés exaltant le "socialisme démocratique", son engagement pour la révolution sandiniste au Nicaragua, et son voyage de lune de miel à Cuba, le 109e maire de New York, qui prendra ses fonctions le 1er janvier 2014, fait figure d’ovni dans le paysage politique national américain. Ancien médiateur de la ville de New York, cet avocat public de 52 ans a su cultiver une image d’homme de gauche décomplexée capable de séduire une métropole ancrée dans le camp démocrate – Barack Obama y avait obtenu 81% des votes lors de la présidentielle de 2012.
"Un conte de deux villes"
Confronté lors des primaires à des démocrates ayant occupé des postes à hautes responsabilités, Bill de Blasio n’était alors pas considéré comme le candidat le plus qualifié. Malgré son rôle dans la campagne sénatoriale victorieuse d’Hillary Clinton en 2000 et sa participation au conseil municipal de New York, l’avocat public n’avait pas de grandes réalisations législatives à mettre à son actif. Certaines de ses propositions phares, telle la mise en place de crèches gratuites financées par une taxe sur les riches, avaient même été raillées, étant jugées irréalistes.
Des critiques qui n’ont pas empêché le résident de Brooklyn de séduire les électeurs déçus par Michael Bloomberg. Le slogan de campagne de Bill de Blasio dénonçant la montée des inégalités - "un conte de deux villes", d'après le roman éponyme de Charles Dickens - a été particulièrement bien reçu par les New-Yorkais les plus affectés par la crise économique.
Le démocrate s’est également illustré comme l’un des plus fervents adversaires d’une politique autorisant les policiers new-yorkais à fouiller toute personne agissant de manière suspecte. Cette mesure, dite "stop and frisk" ("arrêté et fouillé"), symbole de l’ère Bloomberg, a été accusée de favoriser le délit de faciès, ciblant de manière disproportionnée les Noirs et les Latinos.
Politique et coupe afro
Dans une ville foncièrement cosmopolite, Bill de Blasio s’est appuyé sur sa famille multiraciale pour marquer des points. New-Yorkais d’origine italienne, le candidat démocrate est marié à une poétesse afro-américaine, Chirlane McCray, réputée pour son activisme en faveur des femmes et des homosexuels. L’influence de cette dernière sur la campagne de Bill de Blasio fut évoquée dans un portrait publié dans les pages du "New York Times" assimilant le couple à une "offre groupée comme Bill et Hillary Clinton".
Mais pour les observateurs de la course électorale new-yorkaise, c'est l’intervention d’un des deux enfants du couple, Dante de Blasio, dans une vidéo de campagne, qui a marqué le véritable tournant de la campagne. On y voit l'adolescent de 15 ans arborant une impressionnante coupe afro et regardant droit vers la caméra pour expliquer que son père est "le seul" qui mettra fin à ces méthodes policières "qui visent de manière injuste les personnes de couleur".
Le succès fulgurant de cette vidéo de campagne – vue plus de 100 000 fois sur internet avant même que l’équipe de campagne ne la mette en avant – s’explique notamment par le fait que Dante de Blasio incarne le visage de l’Amérique urbaine du XXIe siècle, où de plus en plus de jeunes se définissent avant tout comme métisses. La coupe afro du fils de Blasio fut même un sujet de discussion prisée jusqu’à la Maison Blanche. Le président Barack Obama, qui a ouvertement soutenu Bill de Blasio, avait ainsi déclaré que "[sa] coupe afro n’avait jamais été aussi bonne" que celle du jeune Dante.
Joker familial
L'exploit de son fils et la présence constante de son épouse durant la campagne ont permis à Bill de Blasio de disputer le "vote noir" à un rival afro-américain, Bill Thompson, lors des primaires démocrates. Si les deux candidats ont fait jeu égal sur le vote des hommes afro-américains, la présence de Chirlane McCray aux côtés de Bill de Blasio avait alors permis à ce dernier d’obtenir 47 % du vote des femmes noires new-yorkaises, contre 37 % pour Bill Thompson.
L’épouse de Bill de Blasio, qui se définissait comme lesbienne avant leur mariage en 1991, s'est également révélée être une alliée précieuse pour rafler l'électorat féminin et le vote gay. À un journaliste qui lui demandait, en décembre dernier, si elle se considérait toujours homosexuelle, Chirlane McCray a répondu : "Je suis mariée. J’ai deux enfants. La sexualité est quelque chose de fluide, et c’est personnel. Honnêtement, je ne suis même pas sûre de bien comprendre votre question". Un discours qui aurait aidé Bill de Blasio à s’imposer, lors des primaires démocrates, contre une autre candidate ouvertement lesbienne, Christine Quinn.
Ces succès électoraux à travers différentes catégories démographiques new-yorkaises reflètent l’évolution du melting pot de la Grosse Pomme, selon des analystes américains. “On dirait une élection post-raciale. Je ne me souviens pas d’une élection où un candidat noir a perdu le vote noir, une femme le vote féminin, ou un candidat juif le vote juif", expliquait au "New York Daily News" Joe Lenski, co-fondateur de la compagnie de sondage Edison Research. "C’est vraiment impressionnant".