La justice française a débouté mercredi 13 personnes se sentant victimes de délit de faciès. Portée par le collectif "Stop le contrôle au faciès", l’idée du reçu de contrôle d’identité a déjà fait ses preuves à l'étranger.
"Je lutterai contre le 'délit de faciès' dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens …" C’était l'engagement numéro 30 de François Hollande lors de sa campagne présidentielle. Presque un an et demi après la prise de fonction du président socialiste, cette promesse semble bien vaine. Mercredi 2 octobre, 13 personnes s'estimant victimes de contrôle au faciès [voir encadré] ont été déboutées après avoir assigné l’État et le ministère de l’Intérieur pour faute lourde. Depuis, l’idée d’instaurer un reçu de contrôle d’identité, enterrée par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls en septembre 2012, refait surface.
"Le contrôle au faciès est défini comme le fait de recourir à des critères d’apparence (couleur de peau…) plutôt qu’au comportement individuel pour fonder la décision de contrôler l’identité d’une personne", comme l'écrit le CNRS dans son rapport " Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris" publié en 2007.
Premier politique à s’engouffrer dans la brèche ouverte par ce camouflet judiciaire, le député socialiste de Seine-Saint-Denis Razzy Hammadi. Il s’est fendu d’un communiqué évoquant "l’urgence" à agir en militant pour l'instauration de ce fameux récépissé.
L’élu a ainsi demandé au gouvernement de Jean-Marc Ayrault "de commencer à respecter l'engagement numéro 30 en expérimentant l'attestation de contrôle d'identité dans plusieurs villes de France". "Si la mesure fait débat en France, elle a fait ses preuves dans d'autres pays, non seulement auprès des citoyens, mais aussi auprès des forces de police", argue-t-il.
Ce récépissé se compose de deux parties : l’une pour le policier, l’autre pour la personne contrôlée. Le document, qui ne comporte aucune donnée ethnique ou personnelle, permet ainsi d’avoir des données statistiques comme le nombre de contrôles, le motif et surtout d’évaluer leur efficacité. Pas de risque donc de voir se créer des fichiers ethniques comme l’a redouté un temps la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
Une expérience "positive" en Espagne
Appliqué en Grande-Bretagne depuis 1984, il est expérimenté dans certains États américains, au Canada mais aussi en espagne à Fuenlabrada, près de Madrid, depuis 2007. Selon David Martin Abanadès, chargé de la diversité à la police de Fuenlabrada, avec la mise en place du reçu, les contrôles ont été divisés par deux et leur efficacité doublée. Exit les critères subjectifs comme le port de la casquette, la couleur de la peau, ou encore le style vestimentaire. "Les résultats sont extrêmement positifs", confiait le fonctionnaire espagnol sur France Inter en octobre 2012. L’image de la police s’est améliorée auprès de la population."
Pour le collectif "Stop le contrôle au faciès", créé il y a près de trois ans, le récépissé de contrôle d’identité est "plus que nécessaire" en France. "Le contrôle d’identité est le seul acte de police qui ne laisse aucune trace", rappelle Sihame Assbague, porte-parole du collectif, interrogée par FRANCE 24. "Notre but n’est pas de le supprimer. Nous voulons juste mettre un terme à une pratique discriminatoire qui remet en cause la citoyenneté. Le contrôle au faciès est illégal, anti-constitutionnel. Nous demandons depuis bientôt trois ans à ce que le dispositif du reçu soit expérimenté en France", insiste-t-elle en précisant que le département de Seine-Saint-Denis, les villes de Dijon et même de Paris sont volontaires pour tester le dispositif.
Un obstacle de taille : Manuel Valls
Aujourd’hui, l’idée semble convaincre de nombreuses personnalités de droite comme de gauche, dont d’éminents membres du gouvernement comme la ministre de la Justice Christiane Taubira. Plusieurs propositions de loi portées successivement par la sénatrice Europe-Écologie-les Verts (EELV) Esther Benbassa en 2011, la députée communiste Marie-Georges Buffet en 2012 et le sénateur UDI (centre) Yves Pozzo di Borgo n’ont jamais pu voir le jour. Le projet se heurte surtout à un seul homme : Manuel Valls. Sans même attendre le rapport commandé par le Premier ministre au Défenseur des droits, le premier flic de France a estimé en septembre 2012 qu’une telle mesure était "très difficile à mettre en œuvre, trop bureaucratique et lourde à gérer".
Manuel Valls, qui a préféré remettre au goût du jour le numéro de matricule sur les uniformes des officiers de police, estime qu’un reçu serait forcément associé "à une classification de la population incompatible avec notre conception républicaine". Une crainte qui n’a pas lieu d’être, le document ne comportant justement aucun état civil.
"Manuel Valls bloque. Il s’est rangé du côté du syndicat de police Alliance, ancré à droite. Les syndicats majoritaires ont travaillé en concertation avec nous pour créer un prototype de récépissé, rappelle Sihame Assbague. L’égalité et la justice ne sont clairement pas ses priorités. Et, sa popularité aidant, le président et le Premier ministre l’écoutent."
"Tôt ou tard, nous finirons par gagner sur le plan judiciaire"
Reste que la décision de justice de mercredi n’est pas vécue comme un couperet par le collectif "Stop le contrôle au faciès". Bien au contraire. "Ce n’est pas une surprise. Ces 13 citoyens qui ont porté plainte ont été précurseurs".
Les avocats des 13 plaignants ont d’ores et déjà annoncé leur intention d’interjeter appel et, le cas échéant, de se pourvoir en cassation et de saisir la Cour de justice européenne. "Tôt ou tard, nous finirons par gagner sur le plan judiciaire, ajoute la porte-parole du collectif "Stop le contrôle au faciès". À moins que le sursaut ne viennent de l’exécutif."