Le "Daily Mail" a provoqué la colère du chef du Parti travailliste britannique Ed Miliband avec un article mettant en doute la patriotisme de son père, un philosophe marxiste. Le leader du Labour a qualifié ces accusations de "mensonges".
"L’homme qui détestait la Grande-Bretagne." C’est par ce titre choc que le "Daily Mail" a consacré dans son édition du 28 septembre un article peu élogieux sur Ralph Miliband, le père d’Ed, l’actuel chef du Parti travailliste, et de David, ancien secrétaire d’État. Dans les pages du quotidien britannique, le journaliste Geoffrey Levy met en doute le patriotisme de ce philosophe marxiste, décédé en 1994 à l’âge de 70 ans et qui a influencé la carrière politique de ses fils. Selon lui, Ralph Miliband, un Belge de confession juive, qui avait immigré en Grande-Bretagne en 1940 au début de la Seconde Guerre mondiale, n’avait rien "d’autre que du mépris pour les valeurs britanniques, ses traditions et ses institutions".
Pour appuyer sa thèse, le rédacteur cite des extraits du journal intime écrit à l’âge de 17 ans par le tout nouveau migrant : "L’Anglais est un nationaliste enragé. Ils sont peut-être les gens les plus nationalistes au monde. On voudrait presque qu’ils perdent la guerre pour leur montrer ce que sont vraiment les choses". Avec ironie, Geoffrey Levy souligne également que ce "dégoût" n’a pas empêché Ralph Miliband de recevoir la meilleure des éducations en Grande-Bretagne et d’y passer le reste de sa vie.
"Des mensonges"
Après la publication de l'article, le leader du Labour Ed Miliband a vivement réagi à ces accusations. Dans un droit de réponse rendu public le 1er octobre dans les pages du "Daily Mail", il défend l’honneur de sa famille. "Je l’aimais et il aimait la Grande-Bretagne. Il n’y a aucun argument crédible dans ce papier ou de preuves dans sa vie qui peut justifier ce titre à sensation", écrit l’homme politique. Ed Miliband rappelle que son père s’était également engagé durant la guerre dans la Royal Navy : "Il l’a fait car il était déterminé à faire partie du combat contre les nazis et pour aider sa famille cachée en Belgique. Il combattait pour la Grande-Bretagne."
Le jeune chef de parti a même reçu le soutien de ses opposants politiques. Interrogé au sujet de l’article du "Daily Mail", le Premier ministre conservateur David Cameron a exprimé sa sympathie, rapporte le "Telegraph" : "Il n’y a pas un jour où l’on ne pense à son père et à tout ce qu’il représentait. Je comprends donc parfaitement pourquoi Ed a voulu donner sa propre version". Le vice Premier ministre Nick Clegg a lui aussi appuyé le droit de réponse de son adversaire travailliste dans un message publié sur Twitter : "Je soutiens Ed Miliband dans la défense de son père. La politique devrait être un jeu où on attaque le ballon, mais pas le joueur et encore moins sa famille".
Une attaque contre le fils
Michael Newman, l’auteur du livre "Ralph Miliband and the Politics of the New Left", dont sont extraites les citations du journal intime de l’adolescent, a lui aussi vivement critiqué le travail journalistique du "Daily Mail". Dans une lettre ouverte dans le "Guardian", il explique que son ouvrage a été "déformé" et que la véritable cible de Geoffrey Levy n’est pas Ralph Miliband, mais son fils, le chef du Parti travailliste, que l’on accuse de vouloir faire "aboutir la vision" politique de son père. Mais pour ce professeur, cette théorie est "absurde", car le père et le fils s’opposent sur certaines doctrines. Alors que "Ralph pense que le capitalisme responsable est en lui-même une contradiction", Ed veut "sauver le capitalisme en le rendant plus décent, humain et fraternel".
Pour certains observateurs de la vie politique britannique, l'article du "Daily Mail" n’est pas seulement une attaque personnelle contre le chef du Parti travailliste. Dans une analyse publiée sur le site de ABC, la correspondante européenne de la chaîne américaine Barbara Miller note ainsi que cette polémique a lieu a un moment bien précis, à une semaine "d’une réunion à Westminster au cours de laquelle la Grande-Bretagne pourrait adopter un nouveau système au sujet de la régulation de la presse".
Lancé en 2011 à la suite du scandale des écoutes téléphoniques illégales pratiquées par le tabloïd "News of The World", l’idée d’une charte royale censée empêcher les dérives des médias suscite une vive opposition de la part de nombreux journaux dont le "Daily Mail". Pour l’analyste des médias Steve Hewlett, cité par ABC, il ne fait donc aucun doute que le journal britannique a profité de "cette opportunité pour s’attaquer à l’un des principaux leaders politiques, Ed Miliband, qui soutient cette nouvelle charte".
Malgré ces nombreux soutiens exprimés un peu partout dans les médias britanniques, le "Daily Mail" n’a aucune intention de se rétracter. Juste à côté du droit de réponse de Ed Miliband, le journal a publié un article au titre sans concession : "Pourquoi nous ne nous excuserons pas". Pour sa défense, le rédacteur en chef Jon Steafel soutient que Ralph Miliband "détestait les institutions britanniques comme la reine, l’Église et l’armée et il voulait une révolution des travailleurs. Nos lecteurs ont le droit de le savoir".