On pensait l’influence de la Russie en recul durable, notamment au Moyen-Orient où son pré carré était réduit à la portion congrue. Voici qu’à la faveur de quelques fiascos américains, elle fait un retour remarqué. Pour combien de temps ?
La Russie est de retour. Avec sa proposition de neutralisation de l’arsenal chimique syrien et son appel au peuple américain, Vladimir Poutine vient de frapper un grand coup que Barack Obama semble lui avoir servi sur un plateau. Résumons : depuis deux ans et demi, Moscou est présenté comme le défenseur inflexible de Bachar al-Assad, en s’opposant à toute condamnation de Damas au Conseil de sécurité, l'homme qui permet au président syrien de continuer à massacrer impunément son peuple.
Le bombardement chimique du 21 août - que des sources indépendantes attribuent désormais clairement au régime syrien - semblait être la faute qui pouvait sinon précipiter la chute de Bachar al-Assad, du moins permettre à des frappes occidentales d’affaiblir suffisamment l’armée régulière pour permettre aux rebelles de prendre enfin l’avantage. La défaillance britannique (solde de tout compte des mensonges de la CIA sur l’Irak) ajoutée à l’irrésolution de Barack Obama (monsieur ZigZag comme l’a surnommé le site Politico) en ont décidé autrement.
Chaque jour qui passe sans intervention voit l’émotion provoquée par le massacre de la Ghouta retomber, et avec elle s’éloigner la "punition" annoncée à grand fracas par François Hollande et Barack Obama.
Pour Poutine, "c'est finement joué"
Dans le même temps, Vladimir Poutine s’offre une tribune dans le "New York Times", dans laquelle il se pose en champion de la paix, par la négociation et dans le respect du droit international, et se permet même - coup de pied de l’âne - une saillie contre "l’exceptionnalisme" américain.
Poutine revient de loin. Lui qui était revenu au Kremlin en tordant la Constitution (l’intérim grotesque de Medvedev), qui s’est allégrement assis sur le droit international en intervenant en Géorgie pendant l’été 2008, qui est critiqué pour les multiples atteintes aux droits de l’Homme, particulièrement à ceux des opposants politiques (affaire Magnitski, du nom de cet avocat décédé en détention dans des circonstances non éclaircies, Khodorkhovki, Pussy Riot, etc..) et pour la répression des homosexuels, le voici soudain débarrassé de ses habits de mauvais garçon, faisant la leçon aux Américains sur la meilleure façon d’éviter un nouveau conflit mondial. "C’est finement joué", comme le reconnaît la spécialiste du Kremlin Hélène Blanc, pourtant peu suspecte de complaisance envers Vladimir Poutine. "Mais c’est une posture qui ne doit pas tromper, ajoute-t-elle. Poutine se moque du droit international et ne fait que défendre les intérêts de la Russie, qu’il estime mis à mal par les Occidentaux."
Il faut ajouter à ce tableau le tort considérable causé aux yeux des défenseurs des libertés individuelles par l’affaire Prism (après le précédent Assange-Wikileaks). Tout à coup l’Amérique n’apparaît plus tout à fait comme le défenseur intransigeant de la démocratie mais sous un jour plus inquiétant (Big Brother). Voir aujourd’hui Edward Snowden bénéficier de l’asile politique en Russie est un étonnant pied de nez à l’histoire de la guerre froide.
Aventure diplomatique acrobatique
Dans cet épisode syrien commencé le 21 août, Barack Obama a dérouté ses plus fidèles admirateurs et, disons-le, passablement manqué de "leadership". Il a entraîné François Hollande dans une aventure diplomatique acrobatique, et en France le courant anti-américain se réveille pour dénoncer un alignement irréfléchi sur les positions américaines. Une dénonciation qui trouve de l’écho dans une opinion d’autant peu convaincue de la nécessité de l’intervention qu’elle voit mal ses objectifs.
Poutine sauvant la mise d’Obama, tout en lui donnant une leçon de diplomatie. On croit rêver, mais on ne rêve pas.
Si Poutine se permet aujourd’hui de chapitrer le prix Nobel de la paix sur son domaine de prédilection, c’est aussi que, bizarrement, Washington le lui a servi sur un plateau en ouvrant cette brèche, dans laquelle les Russes se sont engouffrés avec gourmandise, puis en déclarant valable la proposition russe de neutralisation de l’arsenal chimique syrien. Dans le même temps, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, lui, demandait au nom de la France des garanties sur la vérification d’un tel désarmement (garanties soit dit en passant totalement impossibles à obtenir s’agissant d’un stock dont on ignore la taille et dont l’existence même était encore niée par Damas il y a encore quelques semaines). Obama, lui, paraissait presque soulagé de pouvoir interrompre la consultation du Congrès, car tout indiquait qu’il y courait à une défaite cuisante.
C’est ce qui permet de penser que ce retour de la Russie au centre du jeu ne sera peut-être que de courte durée : il durera jusqu’à ce que le président américain (celui-ci ou un autre) se décide à renouer avec une stratégie d’influence au Moyen-Orient.
Pour le moment, la vérité est qu’après avoir ces derniers mois été écarté d’Égypte, pays-clé que Nixon et Kissinger avaient réussi à sortir de l’orbite russe au début des années 70, les États-Unis viennent de subir un nouveau fiasco en Syrie. Un fiasco qui ressemble d’ailleurs à un acte manqué tant il est patent qu’Obama répugne à perpétuer l’influence américaine au Moyen-Orient. Non seulement, avec les gaz de schiste, il a estimé avoir assuré son approvisionnement énergétique pour longtemps, mais il ne se soucie même plus d’assurer celui de ses principaux clients.
Manque de confiance et confusion
Au final, seule la défense d’Israël - quasiment une question de politique intérieure - continuera pour longtemps à préoccuper la Maison Blanche. Mais elle n’est même plus un argument miracle. Pour preuve : l’influence (grande) de Benjamin Nétanyahou, appelé à la rescousse par Obama pour faire pencher le Congrès en sa faveur, n’aura pas suffi à faire pencher la balance. La vérité est que le Congrès n’a simplement pas confiance dans son "commandant en chef". Jusqu’ici pourtant les Occidentaux paraissaient avoir une ligne claire : "Assad doit partir". Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Et lorsqu’Obama se mit enfin à envisager une intervention militaire, cette exigence n’apparaissait bizarrement plus comme une priorité. En annonçant qu’il ne cherchait pas à renverser Assad, Obama donnait donc le sentiment de jouer "petit bras". Il prenait le risque de déclencher un conflit régional sans clairement identifier l’origine du problème. La déclaration de John Kerry, selon qui les frappes seraient "incroyablement petites", ne fit qu’ajouter à la confusion du Congrès.
Dernière leçon : Obama n’est ni Clémenceau, ni Churchill, ni Wilson. Il apparaît d’ailleurs bien contraint et emprunté dans ce rôle de "néo-conservateur" assez inattendu. On connaît la définition souvent donnée: "Un néo-conservateur, c’est un homme de gauche dont les convictions se sont fracassées sur les réalités du monde". Pour l’instant, on peut simplement dire que Barak Obama donne le sentiment de faire du néo-conservatisme comme monsieur Jourdain faisait de la prose : sans le savoir.