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Le dur parcours des demandeurs d’asile syriens en France

Près de deux millions de Syriens ont quitté leur pays selon les derniers chiffres du Haut commissariat pour les réfugiés (HCR). Parmi eux, certains ont souhaité venir en France afin d’y demander l’asile. Un parcours difficile.

"Quand nous voyions ce qui se passe en Syrie, nous remercions Dieu chaque jour, d’avoir la chance d’être en France", confie Lina*. Cette jeune femme a tout quitté en mars 2012 pour préserver ses trois enfants de la guerre. Elle et son mari ont laissé derrière eux à Alep, leur famille, leurs amis et une vie confortable.

À l’instar de nombreux Syriens, Lina a été contrainte de fuir le conflit qui ensanglante son

La procédure pour demander l'asile en France

Le demandeur d’asile doit se trouver sur le sol français. Pour cela, il a obtenu au préalable un visa ou bien est entré clandestinement sur le territoire. Il doit avoir une adresse postale, ce qui constitue déjà un obstacle en soi pour certain.

Il se rend ensuite en préfecture et dépose une demande. On le convoque alors pour un rendez-vous lors duquel on prend ses empreintes avant de lui remettre un dossier. Ce dossier, il doit le remplir avec notamment son récit manuscrit en français et le renvoyer à l’OFPRA sous 21 jours. L’OFPRA le contactera ensuite pour lui fixer un entretien.

Après examen de son dossier le statut de réfugié lui sera attribué ou pas. L’OFPRA peut également décider d’attribuer la protection subsidiaire pour une durée déterminée, renouvelable. En cas de refus, un recours est possible devant la Cour national du droit d’asile (CNDA).

pays depuis mars 2011 et a déjà fait plus de 110 000 morts. Fin août le Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) a tiré la sonnette d’alarme, annonçant que près de deux millions de Syriens avaient quitté leur pays. La majorité d’entre eux ont trouvé refuge dans les pays voisins comme le Liban et la Jordanie, qui peinent à faire face à l’afflux de personnes, mais d’autres ont réussi à gagner l’Europe dont la France.

"On a pensé à la France parce qu’on a beaucoup de famille qui vit déjà ici depuis de longues années", explique Lina qui raconte que l’obtention de leur visa a été des plus surprenantes. "On ne s’y attendait pas, c’était un miracle pour nous", sourit-elle. "Malgré nos rêves brisés en Syrie, nous sommes contents que la France nous ait accueillis et nous permette d’élever nos enfants en sécurité", confie-t-elle à FRANCE 24.

"Certains demandeurs d’asile se retrouvent à la rue"

Des Syriens comme Lina, Mathilde Schroeder en rencontre beaucoup. Juriste à l’association Caar (Comité d’aide aux réfugiés), elle vient en aide aux demandeurs d’asile. "Nous les accompagnons. Souvent, ils ne parlent qu’arabe, or le récit de leur situation doit parvenir à l’Office français pour les réfugiés et les apatrides (Ofpra) en français. Nous sommes en contact avec des associations qui les aident à traduire leur histoire et à effectuer toutes les démarches administratives (voir encadré) pour obtenir le statut de réfugiés. Nous essayons même de les accompagner après", explique-t-elle à FRANCE 24.

Mathilde Schroeder raconte la difficulté que représente cet exil pour la majorité d’entre eux, car tous n’ont pas comme Lina la chance d’avoir des proches en France. "Nous rencontrons des personnes qui ont fui pour sauver leur vie. Arrivées en France, certains n’ont nulle part où aller et se retrouvent à la rue, le temps d’effectuer leurs démarches", poursuit-elle. "C’est là que nous intervenons pour tenter de leur trouver un logement ou une place en centre d'accueil demandeurs d'asile (CADA)", aux listes d’attente interminables.

Même constat à l’association Revivre, qui depuis 2004 déjà, se consacre à l’aide aux réfugiés politiques venus de Syrie. Sabreen al-Rassace y tient bénévolement une permanence d’accueil. Elle aussi témoigne des obstacles que peuvent rencontrer les Syriens à leur arrivée en France. Face à l’afflux grandissant depuis mai 2012, l’association a établi "une liste de bénévoles pour loger des demandeurs pendant une petite dizaine de jours", raconte-t-elle à FRANCE 24. Sabreen observe que les demandeurs d’asile qui viennent de Syrie représentent "une véritable photographie de la société syrienne : toutes les communautés religieuses et toutes les catégories sociales sont représentées, du déserteur à l’opposant connu, en passant par les médecins et les petits commerçants".

"L’OFPRA a pour volonté de raccourcir au maximum les délais de traitement de dossiers syriens"

À ces difficultés s’ajoute, "la lourdeur des démarches administratives du demandeur d’asile" . Sabreen al-Rassace la qualifie "d’inhumaine". "Il est juste scandaleux qu'il n'y ait pas un effort particulier, même temporaire ou exceptionnel, afin de faciliter les démarches au moins à la préfecture", dénonce-t-elle.

Mais à l’Ofpra, où les dossiers sont instruits après le dépôt de demande en préfecture, on assure "tout faire pour faciliter les choses aux Syriens". Joint par FRANCE 24, Pascal Brice, directeur de l’Ofpra insiste sur le fait que "le parcours de tout demandeur d’asile est terrible en soi". "Concernant les demandeurs syriens, notre volonté est de pouvoir leur répondre rapidement au regard de leur situation", déclare-t-il. Il explique que le délai classique de réponse est de six mois en moyenne et peut aller jusqu’à deux ans, il n’est aujourd’hui que de trois mois pour les Syriens.

En 2012, 650 Syriens ont déposé une demande d'asile auprès de l'Ofpra. "Nous avons dépassé ce chiffre avec environ 700 demandes sur les sept premiers mois de 2013", observe Pascal Brice. 95 % des demandeurs syriens obtiennent une réponse positive. "C’est très élevé quand on sait que celui pour les demandeurs d’asile toutes origines confondues est de 25%", explique le directeur de l’Ofpra. Un taux d’acceptation très important mais décidé uniquement par l’organisme insiste Pascal Brice. "Nous n’avons aucune consigne venue de l’État français, nous ne subissons aucune pression politique. Nous attribuons le statut de réfugié après avoir déterminé, si la personne concernée fait l’objet d’un risque identifié", souligne-t-il.

Obtenir un visa pour la France, une mission quasi-impossible

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L'Allemagne s'est engagée à accueillir 5000 réfugiés syriens, un premier groupe est arrivé à Hanovre

Des avancées que Pierre Henry, directeur général de l’association France Terre d’Asile (FTA) veut relativiser. Pour lui c’est encore insuffisant. "Oui la tendance est à la hausse comme dans le reste de l’Europe où 25 000 Syriens ont été accueillis", reconnaît-il. "Mais cela reste dérisoire", assène-t-il, lors d’un entretien téléphonique avec FRANCE 24. Il appelle les dirigeants européens à "décadenasser les frontières de l’UE". "Symboliquement, la France ne peut pas rester en arrière sur ce dossier", s’indigne-t-il.  "Nous avons des responsabilités politiques à prendre. Nous devons faire un geste, à l’image de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Suisse ou de la Suède ( qui ont récemment annoncé leur intention d’accueillir un nombre défini de Syriens, NDLR )", estime Pierre Henry.

Il évoque ainsi la question des visas, ce précieux sésame si difficile à obtenir pour les Syriens. "C’est simple : pas de visa pas d’avenir", explique Razan*. Après plusieurs tentatives infructueuses auprès de l’ambassade française, la jeune étudiante en architecture de 22 ans a finalement obtenu un visa allemand. "Je suis arrivée en avion à Berlin et ensuite je suis venue en train à Paris car mon visa est valable dans tout l’espace Schengen". Razan tenait à venir en France, car sa sœur aînée y est installée depuis de longues années. "La Syrie est devenue comme une grande prison pour les jeunes", raconte-t-elle à FRANCE 24. "J’ai pleins d’amis qui ont essayé d’avoir des visas mais c’est quasi impossible pour les jeunes", raconte-t-elle. "Du coup, pas d’autre choix que rester en Syrie ou de tenter un voyage clandestin au péril de leur vie".

Mathilde Schröder résume la situation ainsi : "c’est vrai qu’une fois en France des associations peuvent aider les Syriens à surmonter les obstacles et qu’il est presque certain que leur situation administrative sera régularisée. Mais le problème c’est d'arriver en France : un véritable parcours du combattant ", explique-t-elle.

Pour le directeur de France Terre d’Asile une solution s’offrirait pourtant à l’Europe pour accueillir plus de Syriens : réactiver la directive de 2001 qui a servi lors de la guerre du Kosovo, intitulée "protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées". Cet appel, il n’est pas le seul à le lancer. Dans une tribune publiée lundi 9 septembre, le journal Libération faisait le même constat et titrait : "La France doit accueillir les exilés syriens".

*Les prénoms ont été modifiés.