La campagne électorale allemande, qui peine à passionner depuis son coup d'envoi mi-août, s'est extirpée d’une semi-torpeur "grâce" à la crise grecque. Athènes pourrait avoir besoin d’une nouvelle aide financière, ce qui a déclenché un vif débat.
Dans la morne campagne électorale allemande, en vue des élections législatives du 22 septembre, la crise grecque fait office d’invitée surprise pour le moins bienvenue. Depuis la déclaration du ministre allemand des Finances, William Schaüble, qui, la semaine dernière, a affirmé que la Grèce aurait besoin d’une nouvelle tranche d’aide, le débat a enfin décollé.
Deux études récentes, l'une de la fondation Friedrich Ebert, l'autre de la fondation Bertelsmann, démontrent une forte baisse de la participation électorale en Allemagne,
Un sondage de la fondation Friedrich Ebert affirme notamment que la participation électorale allemande a enregistré depuis trente ans la plus forte baisse d'Europe de l'Ouest, après le Portugal.
"L'une des raisons pour laquelle les gens votent moins, c'est que les partis sont devenus très semblables", explique Klaus-Peter Schöppner, de l'institut de sondage Emnid. "Les grandes formations ne se distinguent plus les unes des autres sur les questions importantes."
Selon Klaus-Peter Schöppner, 70% des Allemands disent aujourd'hui ne pas faire la différence entre des gouvernements CDU et SPD, alors qu'ils n'étaient que 30% dans ce cas au début des années 1990, juste après la réunification.
"Je ne pense pas que les gens veuillent entendre parler des différences en permanence", a commenté Angela Merkel. "Ils veulent juste que l'on résolve leurs problèmes."
(Source : Reuters)
Alors que Berlin observait un discours prudemment flou sur les finances de la zone euro, le grand argentier allemand a, mercredi 21 août, lâché une bombe lors d’une réunion électorale à Ahrensburg, une commune proche de Hambourg : "La Grèce va avoir besoin d’un autre programme".
La Grèce : sujet sensible
Stupeur dans le camp de la chancelière Angela Merkel. Quelle mouche a bien pu piquer ce fidèle allié de la chancelière ? Il n’est pourtant pas sans ignorer que les Allemands sont massivement hostiles à l’idée de nouvelles aides en faveur des pays européens en difficultés…
À un peu plus de quatre semaines de l’élection, pas question de mettre les deux pieds dans le plat et de risquer ne serait-ce que quelques points de la grande popularité dont jouit Angela Merkel (elle bénéficie de 60 % des intentions de vote selon un sondage paru dimanche) en Allemagne, après deux mandats consécutifs à la tête du plus riche pays d’Europe.
Immédiatement, la coalition conservatrice au pouvoir - l’Union chrétienne démocrate (CDU), l’Union chrétienne sociale (CSU) et du parti libéral démocrate (FDP) - a tenté d’éteindre l’incendie. Sous pression, William Schaüble s’est empressé de préciser que le nouveau programme d’aide pour la Grèce serait "beaucoup plus modeste que les deux précédents". Mutti ("maman", surnom dont les Allemands ont affublé leur chancelière) s’est elle-même vu contrainte d’aborder le sujet tant honni en affirmant – courageusement - qu’aucune décision ne serait prise avant l’an prochain.
L’opposition attaque
Mais les efforts des conservateurs pour disperser la fumée de l’incendie qu’ils ont provoqué se sont révélés vains : la perche était trop belle pour que l’opposition, en mal d’arguments face à la machine à gagner de la majorité, ne la saisisse. L’adversaire social démocrate (SPD) de la chancelière, Peer Steinbrück, accessoirement ancien ministre des Finances entre 2005 et 2009, lors du premier mandat d’Angela Merkel, a enfilé ses gants de boxe et a exhorté la chancelière à "dire clairement les choses". Dans une interview parue le 27 août, il a rudement bousculé sa rivale en l’accusant d’avoir "distribué des somnifères et d’avoir tenté de dissimuler que la stabilisation de la zone euro coûterait cher".
Pendant ce temps, le président des sociaux-démocrates, Sigmar Gabriel tentait un uppercut chargé de références historiques douloureuses : "Cela va faire comme avec le chancelier Helmut Kohl qui avait promis que la réunification allemande ne coûterait rien". Même l’ancien chancelier Gerhard Schröder, candidat SPD malheureux face à Angela Merkel en 2005, s’est invité sur le ring, fustigeant lui aussi le "gros mensonge" de la candidate CDU.
En résumé, le débat est resté poli. Pas d’insultes, pas de sang sur les murs. Une polémique plutôt fade, mais qui a l’avantage de donner un peu d’air à cette campagne électorale, dominée jusqu’à présent par des controverses sur des questions aussi essentielles que l’introduction d’une journée végétarienne par semaine dans les cantines scolaires, ou la gratuité des autoroutes en Allemagne. Ce qui a inspiré, à la presse allemande, un néologisme fort à propos : "Nichtwahlkampf", la "non-campagne électorale".
"Les journaux raclent les fonds de tiroirs"
"On peut résumer cette campagne en un mot : ennuyeuse, commente Antoine Heulard, correspondant de FRANCE 24 en Allemagne. La campagne présidentielle, l’année dernière, n’avait pas brillé par la passion qu’elle a déclenchée, mais là, on bat tous les records. Même les journalistes allemands ne savent plus quoi faire : ils font des papiers [articles] gigantesques sur des événements mineurs. Ils râclent les fonds de tiroirs".
La semaine dernière en effet, Angela Merkel a effectué une visite historique au camp de concentration de Dachau, avant d’enchaîner sur un meeting électoral sous une "tente à bières". Une organisation maladroite, indéniablement. Médias et opposition s’en sont saisis et ont déclenché une polémique… qui a duré deux jours.
"C’est le style Merkel, elle arrive à endormir tout le monde, poursuit le journaliste. Ce n’est pas une personnalité polarisante, mais elle est extrêmement populaire et elle ratisse large : elle a repris à son compte les grands combats de l’opposition [sur l’énergie et les politiques familiales, notamment, NDLR]".
Fidèle à son slogan fièrement inscrit sur ses affiches de campagne, "Deutschland ist stark, so soll es bleiben" ("L’Allemagne est forte, cela doit rester ainsi"), la chancelière maintient jusqu’aux élections sa ligne de conduite dictée par une prudente immobilité. Elle risque cependant de se voir quelque peu bousculée lors du très attendu point culminant de la campagne électorale: le débat télévisé prévu dimanche 1er septembre. Elle doit y affronter Peer Steinbrück, qu’elle ignore royalement depuis le lancement de la campagne, réputé excellent orateur. Peut-être les électeurs allemands, sidérés, assisteront-ils, devant leur petit écran, à un soubresaut historique et passionné du débat électoral.