
Au Liban, aujourd’hui, près de la moitié des réfugiés syriens ayant fui le conflit sont des enfants. Le gouvernement libanais, qui a fait de leur scolarisation une de ses priorités, peine toutefois à absorber ce flux de nouveaux élèves.
C’est un chiffre qui illustre la violence du conflit. Vendredi 23 août, l’ONU a annoncé que le nombre d’enfants syriens ayant fui la guerre en Syrie, qui dure depuis plus de deux ans, avait atteint le million. Une estimation tellement alarmante que le directeur des programmes à l'Unicef, Ted Chaiban, n’a pas hésité à parler de "crise de l’enfant".
Toujours selon les chiffres de l'ONU, 740 000 d’entre eux seraient âgés de moins de 11 ans. La plupart ont fui vers le Liban, pays frontalier qui absorbe aujourd’hui un total de près d’un million de réfugiés, dont 44 % d’enfants. Une situation sanitaire, sociale - et désormais scolaire - que le pays du Cèdre, dont le système éducatif est vacillant, peine à gérer.
Dès septembre 2011, le gouvernement libanais, en partenariat avec l’Unicef, le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) ainsi que des ONG nationales et internationales, a décidé de prendre le problème à bras-le-corps en ouvrant ses écoles publiques aux élèves syriens. Pour l’heure, les résultats sont encore mitigés. "Environ 70 % d’entre eux n’ont toujours pas accès à l’éducation", constatait au mois de mai dernier, Alice Milot, journaliste à RFI, auteure d'une enquête sur la scolarisation des enfants syriens au pays du Cèdre.
Ouvrir de nouvelles classes
Les difficultés de scolarisation se concentrent surtout dans la vallée de la Bekaa, près de la frontière syrienne où "contrairement à la Jordanie ou à la Turquie, les réfugiés syriens ne sont pas regroupés dans des camps officiels", explique la journaliste. "Un moyen de ne pas répéter les erreurs du passé… ", ajoute-t-elle. Dispersés dans la région, ces enfants n’ont donc pas tous accès au système éducatif proposé.
Les autres, les plus chanceux qui atteignent les bancs des écoles, créent, de facto, une surcharge quantitative. Dans la vallée de la Bekaa, certaines classes ont vu leurs effectifs doubler. Selon l’Unicef, le nombre d’enfants scolarisables déjà enregistrés - ou en attente de l’être - ne cesse d’augmenter. À Arsal, petite ville nichée dans les collines, l’arrivée de femmes et d’enfants syriens ont même conduit la municipalité à ouvrir de nouvelles classes.
"Comme il n'y avait pas assez de place dans les écoles pour gérer tous les nouveaux arrivants, le ministère libanais de l'Éducation a demandé à la municipalité de créer une deuxième session de cours entre une heure et six heures de l'après-midi. L'école secondaire d'Arsal l'a fait avec plaisir et 236 élèves syriens ont été inscrits", peut-on lire dans un communiqué de l’Agence des nations unies pour les réfugiés. Ali Hujeiri, le directeur de l’école d’Arsal refuse de baisser les bras. "Je regarde ces enfants et je me dis : 'En quoi cette guerre est-elle de leur faute ?' Ils n'ont rien fait pour mériter leur sort. Ces enfants ont besoin d'être éduqués."
Troubles psychiques et problèmes de concentration
Une éducation qui risque de prendre du temps. Car la grande majorité des enfants syriens, qui ont rejoint les écoles libanaises, sont souvent victimes de traumatismes, de troubles psychiques et de problème de concentration. "Quand je les fais dessiner, les élèves syriens [âgés de 4 à 6 ans] peignent des terroristes qui attaquent leurs maisons, des enfants brûlés par le soleil", raconte la maîtresse d’une école maternelle interrogée par Alice Milot
Beaucoup n’ont pas fait le deuil des horreurs vécues : "Une petite fille m’a dit de faire attention à mon fils. Elle m’a raconté que sa mère avait trouvé la tête de son grand frère dans la rue." D’autres encore, "qui reprennent les mots des adultes", l’exhortent souvent à choisir un camp. "Tu es avec Bachar, toi ? Tu es avec qui ?", lui demandent-ils de temps en temps. "Ils sont tous, sans exception, terrifiés", ajoute-t-elle.
"Servir tous les enfants affectés par la crise"
Selon l’Unicef, près de 7 % des enfants syriens réfugiés sont considérés comme "très traumatisés". Une violence psychologique qui se traduit par une absence totale de communication. "Une petite fille de 8 ans est arrivée au centre il y a six mois", raconte le directeur de Sawa, une ONG locale partenaire de l’Unicef. "Elle avait assisté à l’exécution de son oncle et de son frère. Elle a été si proche qu’elle a été couverte de sang. Elle se remet tout juste à parler."
Reste à savoir comment les familles libanaises, parfois tout aussi marginalisées et appauvries que certains foyers syriens, réagiront sur le long terme face à ce programme d’aide scolaire, médicale et psychologique inédit dans leur pays. "Depuis le début, l’Unicef a pour mandat de servir tous les enfants affectés par la crise. Les Libanais ne comprendraient pas pourquoi l’on vient en aide aux seuls Syriens, alors qu’eux-mêmes aussi sont démunis", a tenu à souligner, Nathalie Hamoudi, responsable du programme éducation de l’Unicef au Liban.