Les députés irlandais ont adopté le 11 juillet une loi autorisant l'avortement quand la vie de la mère est en danger - une avancée limitée dans un pays à forte tradition catholique et profondément divisé sur le sujet. Reportage de notre correspondant en Irlande.
Ces dernières semaines, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Dublin, la capitale irlandaise, pour tenter d’influencer les élus avant le vote du projet de loi sur l'avortement, adopté le 11 juillet. Devant le Parlement, deux groupes de manifestants rivalisaient de slogans et d’invectives.
Il y a 21 ans, les Irlandais avaient pourtant approuvé par référendum l’avortement, dans le cas extrême où la vie de la mère était en danger. Mais la Constitution protège au même titre la vie du fœtus, de "l’enfant à naître" et celle de la mère...
"Depuis 21 ans, les femmes ont ce droit théorique à une IVG (Interruption volontaire de grossesse) si leur vie est en danger", explique à FRANCE 24 Sinead Ahern, porte-parole de la campagne pour le choix des femmes Choice Ireland. "Mais il n’y avait pas de loi. Pour les médecins comme pour les femmes, il n’y avait aucune certitude. Dans une situation difficile, on n’avait aucune garantie d’avoir le traitement nécessaire", ajoute Sinead Ahern, "cette nouvelle loi protège les femmes et les médecins, et permet d’intervenir pour sauver la vie d’une femme".
L’avortement est probablement le sujet le plus sensible en Irlande. Lorsqu'il a présenté son projet de loi à l’Assemblée, le Premier ministre, Enda Kenny, a fait l’objet d’attaques personnelles de la part d'opposants qui l’ont qualifié de "meurtrier, qui aura bientôt sur sa conscience la vie de millions de bébés".
"Je reçois par courrier des médailles, des scapulaires [En anatomie, qui appartient à l'épaule ou à l'omoplate NDRL], des fœtus en plastique, des lettres écrites avec du sang… ", a déclaré Enda Kenny devant l’Assemblée nationale dublinoise.
"Vision paranoïaque"
Avec la mort très médiatisée en octobre 2012 d’une jeune dentiste, Savita Halappanavar, légiférer est devenu une priorité. La jeune femme de 31 ans est décédée d'une septicémie à l'hôpital. Elle s'était vu refuser un avortement alors qu'elle était en train de faire une fausse couche, à 17 semaines de grossesse. Pour la famille, sans la confusion qui régnait à l’hôpital sur la question de l’avortement, Savita serait peut-être encore en vie aujourd'hui.
Un mois après la mort de Savita, une jeune française était admise à l’hôpital, à Dublin, avec tous les symptômes cliniques d’une grossesse extra utérine. "Dans les autres pays européens, on opère les femmes qui ont des grossesses extra utérines en 48 heures, moi j’ai dû attendre plus d’une semaine", explique à FRANCE 24 Laura Servant Charlier. "Tout ce qui est relié à la grossesse et à l’avortement dans les hôpitaux irlandais est complètement hallucinant, ils ont une vision totalement paranoïaque de la chose", estime la jeune femme, qui était alors employée d’une compagnie d’assurance dublinoise.
Mobilisation de l'Église
La position de l’Église catholique a rarement été aussi éloignée de celle de l’État. Les évêques ont fait campagne contre le projet de loi, surtout parce qu’il permettra à une femme jugée suicidaire, d’obtenir un avortement.
"Le message chrétien est un message de respect de la vie humaine du moment de sa conception jusqu’au moment de la mort naturelle, et à tous moments entre temps", précise l’archevêque de Dublin, Diarmuid Martin, devant une congrégation de son diocèse.
L’Église catholique demeure influente en Irlande. Samedi 6 juillet, plus de 40 mille personnes ont manifesté contre cette loi dans les rues de Dublin.
Jeudi 11 juillet, après deux jours et une nuit de discussions marathon, le texte a finalement été adopté par 127 voix contre 31. Il autorise l'avortement si la poursuite de la grossesse fait courir à la vie de la mère un "risque réel et substantiel" qui doit être certifié par les médecins.
"Pour un petit nombre d’Irlandaises et pour les médecins confrontés à ces situations rares, la loi dit désormais avec certitude que l’avortement est autorisé", explique Simon Mills, médecin légiste. "Mais il ne s’agit pas d’une loi libérale, loin de là ! La grande majorité des Irlandaises qui souhaitent avorter devront continuer à aller au Royaume-Uni ou ailleurs à l’étranger", ajoute le docteur.
Le débat sur l’avortement en Irlande est donc loin d’être terminé. Un nouveau référendum sur le sujet n’est pas exclu.