
Accusé de piraterie, Abdulqader Guled Saïd a passé plus de quatre ans emprisonné en France. Libéré en juin 2012, le Somalien, qui vit aujourd’hui dans un foyer de la région parisienne, est en proie à de graves troubles psychiatriques.
Il y a un peu plus de cinq ans, Abdulqader Guled Saïd était encore un modeste pêcheur de langoustes dans l’océan Indien. Basé dans la ville portuaire de Gaa’rad, il avait pour habitude, à la fin de chaque saison de pêche, de retourner chez lui, dans une bourgade située à environ 200 km de la côte, pour y retrouver son épouse et son petit garçon de quatre ans.
Le 12 avril 2008, il peine à trouver un taxi collectif pour le ramener chez lui. Il croise alors son frère, qui l’embarque dans un 4x4 en direction de sa ville. Dans le véhicule, des armes, de l’argent… Il est à bord de la voiture des pirates somaliens qui viennent de quitter le voilier français le Ponant, dont ils avaient pris l’équipage en otage quelques jours plus tôt dans le Golfe d’Aden.
La vie d’Abdulqader Guled Saïd bascule ce jour là, quand les forces françaises prennent la voiture d’assaut. Tous les passagers – dont Abdulqader – sont arrêtés et envoyés en France. L’homme est emprisonné, pour être finalement acquitté en juin 2012, en même temps qu'un autre faux pirate somalien. Il a passé quatre ans et deux mois en prison. Un calvaire dont il n’est pas sorti indemne : il a développé, derrière les barreaux, une pathologie psychiatrique : le syndrome de Ganser, appelé aussi psychose de prison.
Victime d’hallucinations, l’homme a été retrouvé nu dans la cour de promenade, a été pris de crises de paranoïa, a bu du shampoing, de l’eau de javel. "L’emprisonnement fut une grande souffrance, témoigne Abdulqader au micro de FRANCE 24. Je ne parlais pas la langue et je ne connaissais personne dans ce pays. Petit à petit, j’ai perdu la raison".
En quatre ans, il n’a reçu aucune nouvelle de sa famille
Pendant les deux premières années de sa détention, le Somalien n’a pu parler à personne dans sa langue maternelle, mis à part une ou deux heures de temps en temps quand ses avocats venaient accompagnés d'interprètes. En quatre ans, il n’a eu aucune nouvelle de sa famille. "Ses surveillants ont mis plusieurs semaines à comprendre qu’il voulait se faire couper les cheveux", racontait son avocat, maître Augustin d’Ollone en juin 2012, lors de l’acquittement de son client.
Un an après sa libération, Abdulqader est toujours profondément marqué par sa détention. "C’est un homme handicapé, confie à FRANCE 24 maître Augustin d’Ollone. Il ne peut pas effectuer les gestes les plus simples de la vie courante. Il a besoin d’être en permanence assisté". En compensation de ces quatre ans et deux mois de détention abusive, l’État français a versé 94 000 euros d’indemnisation à Abdulqader Guled Saïd. Beaucoup trop peu, aux yeux de son avocat.
Aujourd’hui, l’homme vit dans un foyer de la région parisienne. Impossible pour lui de rentrer en Somalie : il y subirait des représailles. "J’ai dit publiquement tout ce que je savais sur les pirates, et ils le savent, assure-t-il. Si je rentre, j’ai peur qu’ils me persécutent ou qu’ils me tuent". Ce qu’il souhaite désormais ? Obtenir l’asile en France et y faire venir son épouse et son fils.