Au lendemain de rassemblements qui ont réuni des millions de personnes en Égypte pour demander le départ du président Morsi, FRANCE 24 a interrogé Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes, afin de comprendre les enjeux.
Un an après la prise de fonction du président égyptien Mohamed Morsi, la tension reste vive dans le pays. Dimanche, plusieurs millions de manifestants sont descendus dans la rue pour réclamer le départ du chef d'État, dont ils dénoncent les dérives autoritaires. Une mobilisation monstre qui a fait au moins 16 morts et près de 600 blessés.
L’opposition, qui a appelé, ce lundi, Mohamed Morsi à quitter le pouvoir d'ici mardi à 17 h (15 h GMT), promet d'occuper les places dans toutes les villes du pays jusqu'à ce qu’elle obtienne gain de cause. Pour comprendre ce qui se joue en Égypte, FRANCE 24 a interrogé Antoine Basbous, politologue et directeur de l'Observatoire des pays arabes.
FRANCE 24 : Peut-on comparer la situation du président Mohamed Morsi à celle de son prédécesseur Hosni Moubarak, pressé par la rue de quitter le pouvoir et finalement déchu en février 2011?
Antoine Basbous :
Les rassemblements qui ont eu lieu hier étaient beaucoup plus importants que ceux qui ont eu lieu au moment de la mort du président Gamal Abdel Nasser en 1970, ou encore de celle de la diva Oum Kalthoum en 1975. C’est dire s’il s’agit d’un évènement extrêmement significatif et unique dans l’histoire du pays. Concernant la comparaison avec Hosni Moubarak, en 2011, il s’agissait d’un tsunami. Aujourd’hui nous assistons à une réplique de la révolution de 2011. En outre, dimanche, les partisans du président Morsi ne se sont rassemblés que dans un seul point, la balance penche donc clairement du côté de ses adversaires. Enfin, n’oubliez pas que Tamarrod [rébellion en arabe, ce mouvement est à l'origine des appels à manifester dimanche, NDLR] a réussi à réunir 22 millions de signatures contre le président. Ce chiffre éloquent constitue aussi une première dans un pays de 85 millions d’habitants.
Comme toujours quand la situation se complique en Égypte, les regards se tournent vers l’armée. Quel rôle peut-elle jouer en cette période de crise ?
L’armée est un arbitre qui va avoir son mot à dire, mais je ne pense pas qu’elle soit tentée de reprendre le pouvoir pour elle-même car elle préfère diriger depuis l’arrière, notamment parce qu’elle connaît la réalité des difficultés. Elle n’a pas l’intention de réitérer l’expérience qu’elle a vécue lorsqu’elle a pris les rênes du pouvoir pendant la période de transition post-Moubarak, où elle avait perdu beaucoup de son crédit et terni son image. La situation dans ce pays est insoluble, car la crise est structurellement difficile. Les ressources manquent et le pays n’a pas vraiment d’infrastructures, quiconque prend le pouvoir en Égypte va se griller. Or l’armée n’a pas l’intention de se griller à nouveau.
L’Égypte est-elle gouvernable ? N’est-il pas un peu tôt pour réclamer le départ du président Morsi, qui n’est au pouvoir que depuis un an ?
Pour l’instant, Morsi a refusé de faire des concessions, d’ailleurs ce n’est pas lui qui gouverne, il n’est que le paravent des Frères musulmans. Les Égyptiens attendaient des réalisations qui ne viennent pas, et la seule chose qu’ils voient venir, c’est l’islamisation de l’État par la Confrérie qui leur avait confisqué leur révolution en leur promettant que "l’Islam était la solution". Or ils constatent qu’un an après son arrivée au pouvoir, la vie est devenue beaucoup plus difficile, qu’ils ont moins d’essence, d’électricité, de gaz, d’eau et de pain. En résumé, la situation socio-économique est catastrophique et ils se révoltent et rejettent la faute sur les Frères musulmans et le président Morsi. Il y a, par conséquent, une réelle menace sur la paix civile dans ce pays qui est dans une impasse, tant il est compliqué de réunir les deux parties en confrontation.