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"La Fnac est cotée en Bourse, mais sans réelle perspective d'avenir"

L'entrée en Bourse ratée, ce jeudi, de la Fnac laisse présager le pire dans un secteur des produits culturels particulièrement touché par la baisse du pouvoir d'achat des ménages et le tournant du numérique.

La Fnac (Fédération nationale d'achats des cadres) n’a pas fait de miracle. Plus de trente ans après une première introduction en bourse, le distributeur de produits culturels a réitéré l’opération jeudi 20 juin. Et les premiers chiffres sont peu encourageants : au premier jour de sa cotation, l’action, introduite par sa maison mère Kering (ex-PPR), perdait plus de 13 % par rapport à son cours de référence, fixé à 22 euros.

Joint par FRANCE 24, Pascal de Lima, économiste en chef chez Ecocell et enseignant à Science Po, estime que trois raisons principales peuvent expliquer ce mauvais démarrage. En amont, d’abord, l’introduction s’est faite dans un contexte négatif puisque "la Fnac s’est longtemps cherché un acquéreur qu’elle n’a toujours pas trouvé. C’est un premier indicateur…" Ensuite, en terme d’ambition, le groupe suscite peu d’engouement : "tous les plans de la direction ne cherchent qu’à stabiliser le chiffre d’affaires et la marge opérationnelle pour les années à venir. C’est une stratégie de croissance forte qu’attendent généralement les investisseurs pour agir", poursuit-il.

Enfin, le groupe fait face à un conflit interne : "il y a un véritable blocage entre François-Henri Pinault [le PDG de PPR-Kering], qui détient 40 % du capital, et le reste de Kering qui veut progressivement se débarrasser de la Fnac en distribuant des parts à ses actionnaires." En d’autres termes, la Fnac d’aujourd’hui est "cotée mais sans réelle perspective d’avenir. Cette introduction en Bourse est une mesure de la dernière chance", déplore-t-il.

Les salariés de la Fnac "résignés"

À ces problèmes propres à la Fnac, s’ajoute celui d’un secteur particulièrement pénalisé par la baisse du pouvoir d’achat des ménages et le tournant du numérique. Et c’est là la principale source d’inquiétude des salariés du groupe, selon Bruno Marc, délégué syndical de la CFTC pour la Fnac Montpellier, contacté par FRANCE 24. "Nous savons que nous sommes dans une industrie qui vend des produits ‘superflus’. Les disquaires ont conscience d’être les premiers en ligne de mire". Pour lui, les salariés sont déjà "résignés depuis plusieurs années" et travaillent avec une constante épée de Damoclès planant au dessus de leur tête.

Les bruits qui circulent régulièrement dans la presse ne font qu’appuyer leurs craintes. Trois jours avant son lancement en Bourse, la Fnac a fait l’objet de rumeurs quant à une vague de licenciements très importante. Selon "Le Parisien", deux plans sociaux seraient actuellement dans les tuyaux, dont un baptisé "Mars"qui affecterait 289 disquaires. La direction, qui a immédiatement démenti ces chiffres, n’a évoqué que des négociations en cours depuis 18 mois avec les partenaires sociaux. Celles-ci porteraient sur "l’adaptation des effectifs sur le marché du disque" pouvant aboutir à la suppression de postes de disquaires.

Du côté des syndicats, pour l’heure, aucune action nationale n’est envisagée en réponse à ces rumeurs, "chacun attend dans son coin", confie Bruno Marc pour qui la situation n’est pas aussi désespérée que celle de Virgin Megastore, placé depuis le 17 juin en liquidation judiciaire. "Plusieurs experts disent que notre mauvaise introduction en Bourse est normale et pas dramatique. Quant à la direction, elle nous a assuré que contrairement à Virgin, nous avions su amorcer le virage du numérique et les magasins continuent d’afficher une bonne fréquentation. Nous nous raccrochons à cela", affirme-t-il.

Vers un destin à la Virgin ?

Pour Pascal de Lima, si la Fnac veut éviter un destin à la Virgin Megastore, il lui faut agir rapidement car "les probabilités pour que [l’introduction en Bourse] limite la casse sont faibles." Le groupe pourrait ainsi se diriger vers un mode de fonctionnement à la France-Loisirs. "France-Loisirs s’est retrouvé, dans les années 1980-90, à tenter une introduction en Bourse qui s’est finalement soldée par un passage d’une énorme structure à une structure devenue aujourd’hui toute petite."

Sans en arriver aux extrêmes de France-Loisirs ou de Virgin, la Fnac a tout intérêt à prendre en compte "une rationalisation de l’industrie de la culture. Désormais, les acteurs qui marchent bien dans ce secteur sont plus petits, ils agissent localement et sont innovants", explique Pascal de Lima. En renouvelant et en réadaptant sa stratégie, tout porte à croire que le groupe aurait ainsi le pouvoir de réinventer les lois de son secteur. Un retour aux valeurs fondatrices de la Fnac, qui a été lancée en 1954 à Paris par André Essel et Max Théret, deux militants trotskistes désireux de mettre la culture à portée de tous.