Depuis plusieurs jours, la classe moyenne brésilienne manifeste son ras-le-bol face à la vie chère. Mais elle se dit aussi déçue par le Parti des travailleurs de Dilma Rousseff, accusé de ne prendre aucune mesure pour éradiquer la corruption.
Alors que les manifestations au Brésil ne faiblissent pas, la présidente Dilma Rousseff a décidé ce jeudi d'annuler un voyage au Japon prévu du 26 au 28 juin, a annoncé le service de presse de la présidence.
Dans les années 1980, le Parti des travailleurs (PT) était l’instigateur des principales mobilisations au Brésil. Mais aujourd’hui, le parti de Dilma Rousseff se retrouve dépassé par le mouvement social qui secoue tout le pays depuis une dizaine de jours. "Même à notre belle époque, nous n'arrivions pas à mettre 100 000 personnes dans les rues", a reconnu le chef de cabinet de la présidence, Gilberto Carvalho.
Surprise également par cette fronde sociale qui a transité de Facebook à la rue, la présidente a tardé à sortir de son silence. "Mon gouvernement écoute ces voix pour le changement. Il est engagé en faveur de la transformation sociale", a-t-elle lancé le 18 juin après une importante manifestation à Sao Paulo. Il est normal, a conclu Dilma Rousseff, que "les citoyens réclament plus" à mesure que "nous augmentons la richesse, l'accès à l'emploi et à l'éducation".
Par ce discours modéré et solidaire, la présidente vise à apaiser les quelque 250 000 manifestants qui ont envahi les grandes villes du pays, en pleine Coupe des confédérations et à un an du Mondial-2014. De leurs côtés, les maires de Sao Paulo et de Rio de Janeiro, Fernando Haddad et Eduardo Paes, tous deux étiquettés PT, ont lâché du lest, jeudi 20 juin, en renonçant à la hausse du tarif des transports en commun.
"Le mouvement est loin de s’essouffler"
Mais cela va-t-il suffire à contenter les dizaines de milliers de manifestants, issus pour la plupart de la nouvelle classe moyenne, qui dénoncent les limites de la politique redistributive du gouvernement ? Ce mouvement diffus, sans étiquette politique et syndicale, ni leaders clairement identifiés, est loin de s’essouffler, estime Stéphane Witkowski, président du conseil de gestion de l'Institut des hautes études d'Amérique latine (IHEAL) car il a la particularité d’être très disparate. "Les revendications divergent d’un État à l’autre, précise-t-il. Elles s’étendent du coût de la vie, avec la hausse du prix de la tomate, aux problèmes dans la santé, l’éducation et les infrastructures, en passant par la corruption qui reste omniprésente".
Selon une enquête de l'institut Datafolha, rendue publique mercredi 19 juin, la corruption est le deuxième motif de mécontentement des protestataires (38 % des sondés), derrière la hausse des prix pratiqués dans les transports (67 %). De nombreux scandales, qui ont éclaboussé des parlementaires comme des ministres, ont éclaté ces dernières années, et notamment le procès, fin 2012, de nombreux anciens dirigeants du PT, impliqués dans un système d'achat de voix de député.
"Le PT n’a pas tenu sa promesse de réformer les institutions"
Résultat : les Brésiliens affichent une nette méfiance à l’égard des politiques. "Les manifestants ne se reconnaissent plus dans la classe politique", estime sur FRANCE 24 Stéphane Witkowski. En particulier, la population regrette que le Parti des travailleurs n’en ait pas fini avec le clientélisme, ajoute le journaliste du quotidien national "O Estado de Sao Paulo", Andrei Netto. "Elle sature du système politique dans lequel prévaut toujours le clientélisme", précise-t-il.
Selon le reporter brésilien, le PT a surtout "manqué à sa promesse de campagne, faite il y a dix ans, de réformer en profondeur les institutions". L'ex-président Lula, qui a surfé sur le développement économique du pays, ne s’est jamais attaqué à la corruption locale, confirme sur FRANCE 24 Charles-Henry Chenut, avocat d'affaires et président de la Commission France Brésil. "Et Dilma Rousseff a hérité de ce fléau", poursuit-il.
Pour Andrei Netto, nul doute que la présidente, qui se heurte actuellement à une forte inflation et à une croissance économique en berne, doit proposer des réformes en profondeur sur les institutions politiques. Surtout qu'à un an de la présidentielle, elle fait face à sa première baisse de popularité significative (-8 points entre mars et juin, selon une enquête CNI/Ibope), même si elle reste tout de même à des sommets (71 % d'opinions favorables avant le début de la mobilisation).