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Vinexpo : la Chine à la conquête du vin français

, envoyée spéciale à Bordeaux – Le salon mondial du vin se tient jusqu’à jeudi à Bordeaux, région qui connaît depuis 2011 une affluence d’investisseurs chinois. Les négociants bordelais y trouvent leur compte mais certains experts regrettent l’amateurisme de ces nouveaux arrivants.

Au milieu des dizaines de stands de vins bordelais classiques que compte la foire internationale Vinexpo se dresse le pavillon chinois Yunnan Red Château & Wine. Les visiteurs sont invités à y "goûter l’Orient". Tiana Wu, jeune Chinoise travaillant pour la marque qui produit, depuis 1997, sa cuvée dans le sud de la Chine, brandit une bouteille de vin rouge au graphisme très oriental. À y regarder de plus près, pourtant, l’étiquette indique "French wild" ("le naturel français").

La marque lorgne la France et le fait savoir. "Nous aimerions beaucoup acheter un domaine en France", explique Tiana Wu, dont l’entreprise participe pour la première fois au salon des vins et spiritueux de Bordeaux, le plus grand au monde. "Mais d’abord, nous devons tester nos produits afin de voir s’ils sont compatibles avec les goûts européens".

Sur le marché du Bordeaux, Yunnan Red Château & Wine est loin d’être la seule entreprise chinoise à tenter sa chance. Depuis 2011, l'ex-empire du Milieu, déterminé à devenir un acteur clé du marché mondial du vin, a en effet pris ses marques dans la région en achetant des dizaines de domaines. Un rythme en constante augmentation : une vente est aujourd’hui finalisée chaque mois dans la région par un Chinois.

Des investisseurs chinois peu intéressés par l’excellence

Cette frénésie laisse certains experts perplexes. Stéphane Derenoncourt, œnologue français et conseiller viticole très prisé, est l’un d’eux. Installé à Bordeaux, il assure être sollicité au moins deux fois par mois par des Chinois, et rejeter la plupart de leurs propositions. "Il n’y a pas de culture du vin en Chine. Le produit intéresse aujourd’hui car il apporte du prestige, ce n’est pas une question de goût," déplore-t-il, jugeant ce phénomène "un peu inquiétant".

Pour lui, l’affluence chinoise dans la région est principalement motivée par l'espoir de gains importants, et non par la recherche de l’excellence en matière de vin, au contraire des précédentes vagues d’investisseurs étrangers - japonais et américains - qu’a connu la région de Bordeaux par le passé. Frustrés par une production nationale qualifiée de médiocre par la "Revue des vins de France", les Chinois sont en quête de reconnaissance. Ils comptent sur le savoir-faire et le prestige français pour apporter des galons à leurs crus et pouvoir ainsi vendre plus cher leurs bouteilles, déjà commercialisées à des prix "hors-marché" selon Olivier Poels, rédacteur en chef adjoint de la "Revue du vin français". "Même si ce n’est pas ArcelorMittal et qu’ils ne peuvent pas délocaliser la production de vins français en Chine, le risque, à terme, c’est que ces vins soient moins vendus en France et principalement destinés au public chinois," analyse le spécialiste.

"Les Bordelais sont habitués à plus de tact"

Ces clients pressés, Edouard André, directeur chargé de la section Asie au sein de la Compagnie médocaine des grands crus, les côtoie régulièrement. "Certains investisseurs veulent simplement acquérir une propriété avec un grand nom, pour le prestige, ou même un petit château, pourvu qu’il y ait un mot connu dans le nom, comme ‘Lafite’ par exemple," explique-t-il.

"Les Bordelais sont habitués à plus de tact," poursuit-il, évoquant une absence de limite financière affichée par certains investisseurs. "Les Chinois posent tout bonnement leur carnet de chèque sur la table." À l’été 2012, l’achat par un Chinois du château de Gevrey-Chambertin pour 8 millions d’euros avait créé la polémique. Selon le syndicat des vignerons de la localité, le domaine avait auparavant été estimé par plusieurs professionnels à 3,5 millions d'euros, soit moins de la moitié.

"Les Chinois ne vont pas travestir les châteaux de Bordeaux"

La Chine dans le commerce du vin

Les producteurs chinois sont devenus, en 2011, les huitièmes producteurs mondiaux de vin, derrière la France, l’Italie, l’Espagne, les États-Unis et l’Argentine.

En Chine, 20 % du vin consommé est importé. Le premier exportateur européen vers la Chine est la France, avec 140 millions de litres de vin vendus en 2012. Sur ces importations françaises, les vins de Bordeaux assurent 75 % en volume et 83 % en valeur.

La Chine représente 20 % des exportations pour Bordeaux.

Pour autant, Edouard André se réjouit de l’intérêt des investisseurs chinois pour la région. Une aubaine, selon lui : "Le Bordelais accueille à bras ouverts les investisseurs. De plus, les Chinois n’entendent pas travestir l’identité des châteaux de Bordeaux," assure-t-il.

À l’image de Cofco, géant de l’agroalimentaire chinois qui, en plus de sa florissante production viticole en Chine, a notamment acquis en 2011 les 20 hectares de vignes du Château de Viaud, sur les terres de la prestigieuse appellation Lalande de Pomerol. Son vin Great Wall, malgré sa position de leader sur le marché national chinois et les critiques encourageantes des goûteurs français, reste discret dans les allées du salon.

Dans les domaines bordelais qu’il possède, Cofco cultive cette retenue. Le groupe a en effet choisi de travailler avec les œnologues français présents sur le domaine avant qu’il ne l’acquière. Le Chinois Moutai, petit nouveau sur le salon et heureux propriétaire du château Loudenne depuis trois mois, a adopté la même politique. "L’œnologue français est toujours le même [sur le domaine] et le restera," affirme l’entreprise.

De quoi plaire aux producteurs français de la région. "C'est beau que la France fasse rêver les Chinois et qu'ils veuillent venir dans notre pays pour bénéficier de notre savoir-faire !" s’émerveille Melanie Tesseron, propriétaire du château Pontet-Canet, grand cru classé de Pauillac, qualifiant les Chinois de "romantiques" passionnés par la culture de la vigne. Preuve de cette soudaine passion : la Chine est devenue, en 2011, le premier marché à l’export pour les vins de Bordeaux.