
, correspondant à Buenos Aires – Depuis deux jours, les Argentins portent le deuil du premier président élu après la dictature, Raul Alfonsin, mort à l’âge de 82 ans. Avec lui, une grande figure de l'histoire argentine récente disparaît.
"Un grand homme d’État s’en est allé. J’espère que d’autres politiques s’inspireront de son parcours", lâche, dépité et visiblement ému, Ricardo Zapata, prostré devant son écran de télévision. Toute la journée, l’ensemble des chaînes diffuse les images du dernier hommage rendu à Alfonsin par les Argentins.
Alors que trois jours de deuil national ont été déclarés, ce sont près de 70 000 personnes qui se sont déplacées jusqu’au Congrès pour saluer sa dépouille. Un défilé sobre, entrecoupé de cris du cœur "Alfonsin ! Alfonsin ! ". Une fleur ou un portrait de lui étiqueté sur le devant d’une veste, ils ont patiemment fait la queue pour arriver jusqu'au cercueil.
"C’était un homme droit, juste et honnête. Un homme proche du peuple qui a toujours cherché le consensus. Personne n’a malheureusement suivi son exemple", s’emballe Alejandro Arcamone, 22 ans, arborant un T-shirt à son effigie et flanqué du slogan "Raul, tu es notre drapeau". Derrière, ses compagnons de la Guardia Radical de Mar del Plata - des militants du parti du défunt président - chantent en son honneur "Nous sommes la vie, la paix, nous sommes le procès à la junte militaire".
Plus loin, un monsieur chic lisant patiemment le journal : "C’est le parangon de la démocratie. C’est lui qui, au sortir de la dictature, a permis d’installer durablement la mentalité démocratique dans notre pays", explique Guillermo Auruccio. "Il a initié le processus démocratique", corrige une infirmière tout juste sortie de l’hôpital et encore en habit de travail. "On peut dire que c’est le père de la démocratie argentine. Mais on ne l’a pas laissé agir".
Dès la première semaine de son mandat, en 1984, Raul Alfonsin abroge l’amnistie déclarée avant que les forces armées ne perdent le pouvoir et demande de poursuivre neuf dirigeants de la junte militaire. Il nomme en même temps une commission nationale sur la disparition des personnes et en choisit les membres : dix citoyens de premier plan, connus pour leur rôle dans la défense des droits de l’Homme. Aux yeux du monde éclate la cruauté des crimes de la junte militaire argentine : quelque 10 000 personnes torturées puis exécutées clandestinement.
Mais si les principaux responsables de violations des droits de l'Homme durant le régime militaire seront jugés et condamnés, la pression de l'establishment militaire va forcer Alfonsin à céder aux revendications des militaires. Trois ans plus tard, son gouvernement empêche le jugement de nombreux autres responsables, en instaurant les lois de pardon ''Punto Final'' et ''Obediencia Debida''. La première prescrit les procès à venir et la seconde accorde l'amnistie aux officiers subalternes, responsables d'atrocités commises sous les ordres des chefs des forces armées.
Qu’importe, pour tous les Argentins c’est le président du "Nuremberg argentin". "Un homme politique avec un sens éthique", résume Jose Ignacio Lopez, son porte-parole. "Pour lui, sans la justice sociale, la démocratie était boiteuse. Et cet énorme défilé aujourd’hui, c’est la réponse des Argentins à la conduite d’un homme qui a toujours lutté pour associer liberté et égalité".
"Raul, Raul, le peuple est avec toi !"… Sur le chemin qui emmène le cercueil jusqu’au cimetière de Recoleta, les chants ne faiblissent pas. Assurément, la mort de Raul, c’est la mort d’un parent.