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Gilles Jacob passe de l'ombre à la lumière

Dans "La vie passera comme un rêve" (éd. Robert Laffont), autobiographie mêlant des tranches de vie et de cinéma, Gilles Jacob, le très discret président du Festival de Cannes, met sa part d’ombre en lumière. Extraits choisis.

"Je suis le spectateur de ma propre existence. Je ne peux pas faire des choses et les commenter en même temps. Je me regarde comme un personnage romantique mais dans un paysage qui est réel." (France 24, 02/04/2009)

La vie de Gilles Jacob bascule une première fois lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate. Il a neuf ans. Issu d’un milieu bourgeois et de confession juive, il se réfugie à Nice, alors en Zone libre, avec sa mère et son frère aîné, alors que le père est prisonnier. Echappant de peu à la Gestapo, le jeune Gilles est caché avec son frère dans une école catholique des Alpes. Ils échappent à une nouvelle arrestation en se cachant derrière l’harmonium de l’église.

Maniant la plume comme s'il maniait la caméra, Gilles Jacob évoque le soldat qui s’approche, appuie sur une touche de l’instrument qui ne renvoie aucun son. Puis repart suivi du prêtre, appelé ailleurs par un autre bruit. "Ma peur, écrit-il, le père l’emmène avec lui dans le bruit de la porte qui se referme, dans celui des pas qui diminuent dans le silence retrouvé. L’écho s’en répercute sous la voûte ainsi que dans un mauvais film aux effets appuyés."

L'épisode s'ajoutera aux souvenirs de Louis Malle pour nourrir le scénario d'"Au revoir les enfants" (1987). La vie de Gilles Jacob bascule une deuxième fois à l'automne 1975, lorsqu'on lui propose de prendre la direction du Festival de Cannes.

"Encore aujourd'hui j'aurais du mal à définir si je préfère les films ou les metteurs en scène. Les films, c'est ce qui reste, c'est l'œuvre achevée, c'est le marbre éternel - et c'est le plaisir ; les metteurs en scène, c'est la souffrance". (p. 13)

La souffrance est particulièrement vive quand il s'agit des grands d'Hollywood: Martin Scorcese, Michael Cimino ou Francis Ford Coppola.

En 1979, Coppola se bat pour finir le montage d'"Apocalypse Now", et mettre la touche finale à sa vision hallucinée de la guerre du Vietnam. Gilles Jacob - qui visite la salle de montage le jour où on essaie Wagner sur l'attaque du village par les hélicoptères - fait des pieds et des mains pour obtenir le film à Cannes. Mais les distributeurs craignent la débâcle et le persuadent de présenter l'œuvre de Coppola hors compétition.

C'était compter sans l'ego de Coppola qui, froissé par si peu d'égard, retire son film.  Au prix de concessions multiples, Jacob obtient de montrer une copie de travail d'"Apocalypse Now", alors que Coppola n'a pas encore arrêté la fin.

Le jury lui préfère 'Le Tambour" de Volker Schlöndorff. Sous la pression des organisateurs du festival, les jurés se ravisent et crée la surprise : "Apocalypse Now" et "Le Tambour" se partagent la Palme d'or.

Malgré la scène que lui a faite Coppola, Jacob n'est pas rancunier. "C’est un risque inouï pour un grand film américain de venir en première mondiale à Cannes. La critique européenne est plus sévère et il y a un risque de contamination sur la critique américaine. Or les films hollywoodiens ne font des bénéfices que si ils marchent sur le marché intérieur avant d’être exportés", explique-t-il aujourd'hui.

"L'avenir dure plus longtemps que le passé." (p. 245)
 

Si l'évocation de ses souvenirs n'est pas sans sentimentalisme, Gilles Jacob laisse peu de place au "c'était mieux avant". "Je vis dans le présent. J'ai une curiosité de tous les instants", dit-il.

Le festival est comme lui, en prise avec l'air du temps. C'était le cas en 1994 quand, sous la présidence de Clint Eastwood, "Pulp Fiction" de Quentin Tarantino l'emporte sur "Soleil Trompeur" de Nikita Mikhalkov. Il écrit : "Entre la Russie impériale aux parfums nostalgiques et l'art du feuilleton populaire à la violence speedée, Clint avait parié sur l'avenir et pesé de tout son poids en faveur du feuilleton".

Même à une époque où les films s’appuient sur une machine médiatique et publicitaire tout à leur service, le festival reste un incontournable, soutient Gilles Jacob. "La notoriété des gens présents, les 4 500 journalistes... En 24 heures, on peut vendre son film dans 30 pays différents. C'est ce qui permet de faire gagner 10 ans à un metteur en scène."

"Dans un monde où la révélation de cinématographies encore inconnues relèvent de l'impossible, la rencontre avec des œuvres singulières, la découverte de cinéastes naissants ou l'apparition de revenants qu'on n'attendait plus tiennent aussi du miracle. Il faut vraiment être fou pour continuer à relever ce défi : révéler, surprendre, faire rêver." (p. 302)