Le documentaire "Dirty Wars", sorti vendredi aux États-Unis, fustige la lutte antiterroriste menée par la Maison Blanche. Un sujet d’autant plus polémique que le président Obama a promis de mettre fin à cette guerre controversée.
"Les États-Unis ont-ils perdu leur boussole morale ?", s’est interrogé le 6 juin dernier le Washington Post, lors du visionnage de "Dirty Wars" ("Les sales guerres"), un documentaire sorti, vendredi 7 juin, aux États-Unis, qui fustige la campagne secrète menée par l’administration Obama pour supprimer des terroristes présumés à travers la planète.
Dans ce film, récompensé au prestigieux festival Sundance et réalisé par Rick Rowley et le journaliste Jeremy Scahill, les deux auteurs condamnent sans détour les "assassinats ciblées" réalisés avec des missiles, des drones ou par des commandos opérant en pleine nuit, principalement en Afghanistan ou au Yémen.
Pendant 86 minutes, le film met notamment en scène les frappes ratées de l’armée américaine contre des civils afghans ou encore des enfants yéménites, l’élimination d’un imam américano-yéménite Anwar Al-Aulaqi, et de son fils de 16 ans, tous deux abattus, "non pas pour ce qu’ils étaient" mais "pour ce qu’ils auraient pu devenir un jour".
"Nous nous faisons davantage d’ennemis que nous ne tuons de terroristes"
"Dirty Wars" n’est pas le premier long-métrage du genre à blâmer le cynisme et les pratiques militaires des États-Unis. Brian de Palma et son film "Redacted" ou encore Michael Moore et "Farenheit 9/11" – pour ne citer qu’eux - s’étaient déjà confrontés au sujet polémique, sous l’ère Bush.
En quoi "Dirty Wars" se distingue-t-il ? Est-ce parce qu’il renvoie crûment à la promesse non tenue de l’actuel président qui avait juré, en 2008, que son administration serait la plus ouverte, la plus transparente de l'histoire des États-Unis ? Promesse que Barack Obama avait d’ailleurs réitéré lors d’un discours, le 23 mai dernier, en promettant de tout mettre en œuvre pour "mettre fin" rapidement à la guerre antiterroriste.
C’est en tout cas ce que Jeremy Scahill a voulu mettre en lumière. Dans son documentaire, le journaliste s’efforce de démontrer que les bavures et les missions secrètes sont non seulement loin de "prendre fin" mais qu’elles contribuent à créer toujours plus d’ennemis contre les États-Unis. "J’ai fini par penser au cours des années que j’ai passées à couvrir ces conflits qu’avec ces opérations ciblées (…) nous nous faisons davantage de nouveaux ennemis que nous ne tuons de vrais terroristes".
"Laisser le spectateur entrer dans ta tête"
Une théorie reprise et défendue par le New York Times. "Le film est d’autant plus fascinant que cette guerre clandestine des États-Unis contre le terrorisme est ancrée partout sur la planète et qu’elle contribue à faire émerger une haine envers l’Amérique qui aurait réjoui Oussama Ben Laden", écrit de son côté le quotidien américain.
Mais la force du documentaire ne tient pas tant par sa trame que par sa singulière mise en scène. Plutôt que de résumer et d’empiler les faits, le film s’est construit autour de la complicité journaliste-spectateur : le public découvre les événements en même temps que Jeremy Scahill. "Le film n’emploie pas une narration classique. Cela signifie que le documentaire comporte de nombreuses scènes dans lesquelles Scahill, semble parfois confus, sceptique, frustré, apeuré voire surpris", explique le Washington Post.
"L’idée de départ voulait que je sois une sorte de guide à travers cet archipel de sites de guerre secrète", a expliqué le documentariste à USNews, "mais David Riker [le second scénariste] a voulu apporter une dimension personnelle au film. Il m’a dit : ‘Au lieu de donner des faits et des chiffres sur tel village, tu vas entrer dans ce village, entrer dans les détails des événements qui s’y sont déroulés. Tu vas laisser le spectateur entrer dans ta tête, dans tes émotions. Tu vas partager avec lui ce que tu vois et comment tu le vois'".
"Un film méticuleusement étudié et documenté"
Tel un détective de film de série noire donc, Jeremy Scahill entraîne les spectateurs dans plusieurs pays où il recueille des témoignages bouleversants des proches de civils tués par les forces spéciales ou les tirs de drones américains. "Le film est méticuleusement étudié et documenté. [Rick] Rowley complète les méditations de Scahill avec des images d'archives", précise le Washington Post.
Jeremy Scahill, qui refuse toutefois que son film ne soit caricatural, a tenu à dédouaner - un peu - l’actuel locataire de la Maison Blanche. "Je pense que Dick Cheney était en quelque sorte un vrai ‘méchant’. Je l’ai vraiment imaginé dans un bunker, programmant la destruction du monde pour le bénéfice des actions de Halliburton [une multinationale américaine d’exploitation pétrolière, ndlr]. Mais je ne vois pas du tout le président Obama de cette façon. Je pense que c’est un gars sincère qui croit que ce qu'il fait est le meilleur moyen pour maintenir la sécurité du pays. Je suis en désaccord avec ce qu'il a fait, mais je n’ai jamais douté de sa sincérité".