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Des Van Gogh et des Picasso pour éponger la dette publique de Detroit

Dans le Michigan, la ville de Detroit, au bord de la faillite, envisage de vendre les œuvres d’art que recèle son musée municipal le Detroit Institute of Arts, dont la collection est estimée à près de 15 milliards de dollars.

Une famille déshéritée peut vendre ses Van Gogh pour se sortir de la faillite… mais une ville le peut-elle ? La question se pose pour Detroit, dans le Michigan aux États-Unis. Poumon de l’industrie automobile durant des années, la "motown", comme l’appellent les Américains, se débat pour éponger une dette colossale de plus de 14 milliards de dollars. La population, qui a décru de 60 % depuis les années 1950, est durement touchée par le chômage, la pauvreté et les coupes budgétaires.

Pour rétablir les comptes, plusieurs solutions sont passées au crible : vendre des parcs publics comme celui de Belle-Isle, brader le zoo et ses girafes, céder les voitures de collection du Musée de l’automobile, ou encore privatiser le système d'évacuation d’égouts ou celui de l'approvisionnement en eau… Rien n’est épargné par ce vaste audit, mené par Kevyn Orr, expert en faillites, et qui doit être présenté aux créanciers de Wall Street cette semaine. Pas même les œuvres d’art du prestigieux Detroit Institute of Arts (DIA), l’un des plus riches musées des États-Unis, fort de 66 000 œuvres.

Picasso, Brancusi, Van Gogh, Velasquez, Matisse, Cézanne… Les plus grands noms de l’art pictural trônent dans ce musée. L'établissement, qui, jusqu’à présent, était passé à travers les coupes budgétaires a même pu financer une rénovation et de nouvelles acquisitions. Mais l’audit a pointé une série d'économies : la vente d’une nature morte de Pablo Picasso datant de 1938, d’un autoportrait de Vincent van Gogh de 1887 (la première peinture de Van Gogh à entrer dans un musée public en Amérique), pourraient à eux seuls rapporter quelques millions de dollars. La vente de l’ensemble de la collection du musée épongerait la dette de Detroit.

Cette éventualité n’est pas qu’une hypothèse : le musée a été approché en ce sens par Kevyn Orr. Mais le DIA a fait connaître son désaccord publiquement. "La ville ne peut pas céder des œuvres pour générer de l’argent, sinon dans le but d’enrichir davantage la collection" rappelle le musée sur sa page Facebook, le 24 mai dernier. La presse américaine et les réseaux sociaux s’émeuvent de l’affaire.

Situation sans précédent

Et en France ?

Un débat comme celui à Détroit ne pourrait jamais avoir lieu en France, assurent l'universitaire Françoise Benhamou. La grande majorité des musées en France sont publics, et leurs collections sont soumises à un principe d’inaliénabilité des œuvres, principe qui repose sur des édits remontant à l’an 1500, rappelle-t-elle. "Il y a des micro-ouvertures à ce principe lorsque des œuvres ne figurent plus au catalogue ou ont été oubliées… Mais c’est infinitésimal."

Le DIA a la particularité d’être la propriété de la ville de Detroit depuis 1919, contrairement à la majorité des musées américains, qui sont privés. De ce fait, la vente d’œuvres dans le but de renflouer les caisses publiques ne s’est jamais produite aux États-Unis. "C’est sans précédent", déclare au Wall Street Journal le président de l’Association des directeurs de musées d’art, Timothy Rub. "Je n’arrive pas à croire que quiconque ait l’intention de liquider ces œuvres sans prix". Cette association a d’ailleurs ses propres garde-fous, que rappelle le DIA : un musée ne peut vendre une œuvre que dans le but d’en acquérir d’autres, pour donner de la cohérence à une collection.

Le musée de Detroit a connu bien des soubresauts par le passé. Les subventions publiques s’étaient faites tellement rares, en 1975, que le DIA avait dû fermer ses portes durant trois semaines. Le musée s’est reconstitué une santé grâce à des donateurs, et a pu entreprendre une vaste rénovation de ses locaux en 2007. En 2012, la dotation du musée avait été encore augmentée par le conseil municipal. Mais trois ans plus tôt, en 2009, il licenciait pour réaliser des économies.

La ville de Detroit est aujourd’hui en situation de faillite, il n’y a plus d’engagement qui tienne, estiment les spécialistes. "Les créanciers peuvent forcer la main", a déclaré le porte-parole de Kevyn Orr, Bill Nowling, dans le quotidien "Detroit Free Press". "Si l’affaire finit devant le tribunal, ces financiers diront : 'eh, vous avez rasé vos dépenses, mais vous avez de l’art qui vaut des millions et qui dort dans un coin'."

Une question juridique se pose toutefois, note Françoise Benhamou, spécialiste française de l’économie de l’art, interrogée par FRANCE 24. "Si la collection du musée est constituée principalement de donateurs privés, comment justifier que les œuvres qu’ils ont contribué à financer ou qu’ils ont légué au musée puissent partir en fumée ?" La vente d’œuvres d’art provoquerait immanquablement un bras de fer juridique avec ces donateurs. Ce qui pourrait refroidir les créanciers, même les moins sensibles à l’art de Van Gogh.