
Un tribunal du Caire a condamné, mardi 4 juin, une quarantaine d’employés égyptiens et étrangers d’ONG à des peines de prison pour travail dans l'illégalité et financements illicites, après un procès fleuve d'un an et demi.
Quarante-trois employés égyptiens et étrangers d’organisations non-gouvernementales (ONG), en majorité américaines, ont été condamnés, mardi 4 juin, par la justice égyptienne à des peines de prison pour travail dans l’illégalité et financements illicites.
L’affaire remonte à décembre 2011, quand, sous les ordres du Conseil militaire alors au pouvoir, plusieurs locaux d’ONG avaient été perquisitionnés au Caire, parmi lesquels les organisations américaines National Democratic Institute (NDI), International Republican Institute (IRI), l’ONG américaine Freedom House, ainsi que la fondation allemande Konrad Adenauer. Ces cinq ONG ont été fermées, sous décision judiciaire, ce mardi.
Les charges retenues contre ces employés incluent le fait d’avoir conduit des recherches, rédigé des rapports, organisé des ateliers sans l’aval des autorités, et d’avoir prodigué à des partis politiques égyptiens des conseils et des formations, notamment en communication.
Les instances dirigeantes des ONG ont également été reconnues coupables d’avoir reçu des fonds étrangers en toute illégalité : l’IRI aurait reçu 18 millions de dollars, la Freedom House 4,4 millions, l’International Centre for Journalists 3 millions, et la fondation Konrad Adenauer, 1,6 million.
Le fils du ministre américain des Transports
Après un an et demi de procès, le verdict est sévère : sur les 43 personnes inculpées, 27 étaient jugées par contumace et ont écopé de 5 ans de prison, cinq personnes ont reçu des peines de deux ans de prison ferme - parmi elles un ressortissant américain, présent à l’audience - et 11 ont été condamnées à un an avec sursis.
Aux côtés de 16 Égyptiens condamnés, les personnes inculpées sont en majorité de citoyenneté étrangère : 19 Américains, des Allemands, des Serbes, des Palestiniens, des Jordaniens et des Norvégiens. Parmi les Américains condamnés par contumace figure le fils du ministre américain des Transport Ray LaHood, Sam LaHood, qui a dirigé au Caire l’International Republican Institute.
Quasiment tous les étrangers inculpés avaient quitté l'Égypte en mars 2012, en cours de procès, avec l’aide et sous la pression des États-Unis. Un ressortissant américain, Robert Becker, condamné mardi à deux ans de prison, était toutefois resté par solidarité avec les inculpés égyptiens.
Le juge qui a instruit l’affaire a précisé qu’il émettra un signalement à Interpol pour rechercher les condamnés par contumace, selon les informations de l’Américaine Nancy Okail, l’une des condamnées à de la prison ferme.
Les ONG vont faire appel de la décision de justice.
Une loi datant de l’ère Moubarak
Le ministère allemand des Affaires étrangères s’est dit "choqué" par le sort réservé à la Fondation Konrad Adenauer et à ses employés, et a promis de soutenir la fondation dans son procès en appel.
Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a, pour sa part, accusé l'Égypte d'avoir organisé une "procès politique". Depuis un an, l’affaire a sérieusement tendu les relations entre l’Égypte et les États-Unis, l’un des principaux donateurs des ONG au Caire - y compris pour certaines structures fondées et dirigées par des Égyptiens - mais aussi le pourvoyeur d’une aide militaire de l’ordre de 1,3 milliard de dollars par an.
Le verdict, même s’il affectera peu les personnes condamnées – ceux condamnés à deux ans de prison ont déjà purgé la quasi-totalité de leur peine en préventive et les employés étrangers ne seront vraisemblablement pas livrés par les autorités de leurs pays – porte cependant un coup dur à l’activité des ONG et à la société civile égyptienne.
La condamnation repose sur une loi restrictive datant de l’ancien régime de Hosni Moubarak, alors peu appliquée. Cette loi devrait être remplacée par un autre texte, encore en cours d’élaboration, qui aboutirait à durcir encore le contrôle des autorités sur l’activité et le financement des ONG.
Human Rights Watch s’est émue, dans un communiqué émis le 30 mai dernier, de ce projet de loi qui “renforcerait et formaliserait le contrôle étatique sur les groupes non-gouvernementaux, et permettrait au gouvernement de bloquer l’accès à des dons domestiques et internationaux. La loi conférerait aux autorités la possibilité de s’opposer aux activités de ces ONG, y compris celles qui documentent et critiquent les abus contre les droits de l’homme par le gouvernement lui-même".
Aucun agenda n’a encore été fixé pour l’adoption de ce projet de loi.