Alors que l'Union européenne a levé l'embargo sur la livraison d'armes aux rebelles syriens, se pose la question de la traçabilité des armes. Des solutions technologiques existent, mais aucune n'est satisfaisante.
La décision européenne de lever l’embargo sur les armes à destination de l’opposition syrienne, prise dans la nuit du 27 au 28 mai, a remis sur le devant de la scène la question de la traçabilité du matériel militaire. “C’est en effet le problème central”, confirme à FRANCE 24 Joseph Henrotin, rédacteur en chef du magazine "DSI" et spécialiste des questions d’armement.
Comment s’assurer en effet que ces armes ne tombent pas entre de mauvaises mains, notamment celles de milices djihadistes ? Une problématique qui est à la frontière entre le politique et le technologique. Les responsables européens se veulent rassurant. “On a déjà testé un certain nombre de filières [pour livrer aux rebelles] du matériel médical, du matériel non létal. Nous l'avons fait avec des exigences de traçabilité. C'est le même type d'assurance que nous voudrions avoir pour les armes”, a indiqué, mardi 28 mai, Philippe Lalliot, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères.
Mais les spécialistes des questions militaires sont plus dubitatifs. “Une garantie totale n’existe pas au même titre qu’elle n’existe pas pour les les systèmes anti-piratage sur les CD”, assure Alexandre Vautravers, directeur du département des relations internationales de l'université Webster de Genève, contacté par FRANCE 24.
Pirater le dispositif
Aucune des éventuelles solutions technologiques pour améliorer la traçabilité n’est entièrement satisfaisante. Graver l’arme au laser pour éviter que le numéro d’identification soit trop facile à effacer ? “Ça ne permet que d’établir après coup que les armes ont changé de mains”, souligne Joseph Henrotin.
Cet expert juge aussi que “la possibilité qui a été évoquée d’insérer des puces GPS dans les armes légères fournies aux rebelles syriens résiste difficilement à l’épreuve des faits”. Déjà, ceux qui reçoivent ces armes peuvent pirater le dispositif. Mais même s'ils ne le font pas, la multiplication des signaux rendrait leur traçage très lourd, d’après Joseph Henrotin.
Surtout un tel système risque d’être contre-productif. “Le régime de Bachar al-Assad dispose de capacités d’écoutes électroniques très avancées”, rappelle Alexandre Vautravers, pour qui des armes ainsi marquées électroniquement transformeraient leurs détenteurs en cible mouvante. En clair, les rebelles syriens seraient même bien avisés de détruire un tel dispositif.
L’autre option serait la mise en place d’un système informatique permettant d’activer ou de désactiver à distance les armes livrées. Aux États-Unis, des applications pour smartphone ont ainsi été récemment développées permettant de bloquer des revolvers qui sont équipés de cartes SIM et de capteurs.
Mais, là encore, la transposition d’une telle technologie sur le champ de bataille est peu réaliste. “Ça prendrait du temps et de l’argent à mettre en place et ralentirait donc la livraison du matériel aux rebelles”, note Joseph Henrotin. En outre, “il faut prendre en compte la puissance du signal et pour que ce soit faisable les personnes qui peuvent désactiver les armes devraient se trouver sur le terrain”, note Alexandre Vautravers. Une perspective difficilement envisageable car “l’envoi par l’Europe d’hommes en Syrie est politiquement hors de question actuellement”, remarque Joseph Henrotin.
Armes en fin de vie
Toutes les solutions technologiques souffrent, enfin, d’un défaut commun. “Si on capte un signal indiquant que les armes livrées ne sont pas où elles devraient être, est-ce qu’on va envoyer des troupes sur place ou aller bombarder la zone en violant plusieurs espaces aériens ? Peu probable”, résume Joseph Henrotin.
Pour lui, la meilleure chance d’éviter que les armes livrées servent “la mauvaise cause” n’a, en fait, rien d’ultrasophistiqué et ne repose sur aucun traçage. “La meilleure option est probablement de fournir à l’opposition syrienne des armes en fin de vie avec de la poudre périssable qui rendra cet armement inutilisable à court terme”, affirme Joseph Henrotin. Une telle solution repose, cependant, sur un double pari : que le conflit ne s’éternise pas et que des radicaux islamistes ne les récupèrent pas entre temps et ne s’en servent avant que la date de péremption soit dépassée.