Avec la hausse du taux de chômage, les cas de séquestration de dirigeants d'entreprises menacées par des plans sociaux se multiplient. Des gestes désespérés qui trahissent une colère généralisée.
Comment peser dans la négociation d’un plan social quand même sa force de travail ne vaut plus rien ?
Pour les salariés français de Sony, du groupe pharmaceutique 3M, du constructeur d’engins de chantier Caterpillar ou du groupe de luxe et de distribution PPR, la séquestration du patron semblait la seule solution.
"Quand les gens ont le sentiment que la négociation ne sert à rien, ils ont tendance à se réfugier dans des actions de désespoir", assure l’ancien dirigeant syndical de la CFDT, Jean Kaspar.
Les salariés grévistes de l’usine Caterpillar de Grenoble ont libéré mercredi les quatre dirigeants de l’entreprise qu’ils retenaient depuis la veille. Comme chez Sony ou 3M précédemment, leur remise en liberté s’est faite dans le calme et sous les yeux de la police présente sur les lieux, sans pour autant intervenir.
En échange, les grévistes ont obtenu le paiement de leurs jours de grève et la poursuite des négociations, qui devraient notamment porter sur la réduction du nombre de personnes licenciées, estimé pour l'instant à 733.
Ils avaient reçu le matin même le soutien du chef de l’État, qui a déclaré au micro d'Europe 1 que le gouvernement ne les laisserait pas tomber.
Une culture de la négociation qui pousse à la radicalisation
Industrie pharmaceutique, commerce, high-tech : tous les secteurs d'activités sont concernés, relève Henri Vacquin, sociologue spécialiste des mouvements sociaux et auteur de "Mes acquis sociaux", publié aux éditions du Seuil.
"Ce qui est nouveau, c’est la fréquence à laquelle ces séquestrations ont lieu. Avant, elles survenaient dans le cadre de problèmes d’emploi lourds, comme lors des grandes restructurations dans l’industrie du textile. Mais, comme la crise n’est plus sectorielle, elle alimente une colère généralisée", explique-t-il.
Après avoir obtenu la reprise des négociations du plan de sauvegarde de l’emploi, Jean-François Caparros, délégué syndical FO à 3M, confiait à la presse :
"Toutes les télés étaient là lorsque Luc Rousselet (le patron de 3M, NDLR) a été pris en otage, donc il est certain que, pour les salariés, c'est un bon moyen de dénoncer ces licenciements. En même temps, nous savons bien que ce n'est pas la solution (…). C'est le désespoir qui a poussé les salariés à en arriver là."
À ce sentiment de désespoir, Jean Kaspar ajoute deux autres facteurs expliquant le durcissement des conflits sociaux : "l’autisme" du gouvernement d'une part, qui maintient les promesses présidentielles de bouclier fiscal et d’exonération des heures supplémentaires malgré l’évolution du contexte économique, l’absence d’éthique dans la conduite des affaires de l'autre.
Le recours à la séquestration n’est une spécificité française que dans la mesure où la politique du fait accompli l’est aussi, ajoute-t-il. "Nous sommes le pays où la notion de négociation est encore culturellement en retard par rapport à la majorité des autres pays européens. Il faut qu’on apprenne à se consulter avant que les décisions soient prises."