
Dans un rapport véhément contre les pratiques d’Apple, une commission sénatoriale affirme que les montages fiscaux de la marque à la pomme représentent un manque à gagner de 44 milliards de dollars pour le fisc américain.
Particulièrement perfectionniste dans la conception de ses produits, Apple se révèle l’être tout autant en matière de montages fiscaux. C’est ce que révèle un rapport d’une commission sénatoriale américaine, rendu public lundi 20 mai, qui détaille la créativité fiscale de l’inventeur des iPhone, iPad et iPod. Cette publication intervient alors que Tim Cook, le PDG d’Apple, doit être entendu mardi 21 mai par le Congrès américain au sujet du peu d'impôts payés par son groupe aux États-Unis. Une première pour un dirigeant d’Apple.
Jusqu’à présent, la marque à la pomme avait largement réussi à éviter d’être épinglée pour son optimisation fiscale contrairement à Google, Amazon ou encore Microsoft. Mais ce temps béni semble définitivement terminé. Apple est désormais accusé d'être “parmi les plus grands manipulateurs pour ne pas payer d'impôts”, selon les termes du sénateur John McCain, ancien candidat républicain malheureux à l’élection présidentielle et co-dirigeant de la commission sénatoriale qui s’est penchée sur le cas d'Apple. Le rapport juge que le manque à gagner pour le fisc américain s'élève à 44 milliards de dollars sur les quatre dernières années.
Le géant californien est ainsi accusé d’avoir domicilié 102 milliards de dollars sur les 145 milliards de dollars dont il dispose à l’étranger - surtout en Irlande - dans le but essentiellement de payer le moins d’impôts possible aux États-Unis. Pour sa défense, Apple assure qu’il est l’un des meilleurs clients du fisc américain en ayant payé 6 milliards de dollars en taxes en 2012 et que ses activités irlandaises sont tout à fait réelles.
Fantôme fiscal
Le rapport ne prétend d’ailleurs pas qu’Apple a agi illégalement. Les sénateurs se contentent de souligner certaines techniques d’optimisation fiscale particulièrement pointues. Le groupe américain, qui gère l’essentiel de son activité internationale depuis Cork en Irlande, bénéficie ainsi depuis une décennie d’un impôt sur les sociétés négocié avec Dublin d’à peine 2%, soit bien moins que le taux déjà très attractif de 12% (contre 35% aux États-Unis) normalement en vigueur en Irlande. “Ce n’est possible que si une loi irlandaise prévoit expressément ce genre de cas car sinon ce serait contraire au principe de l’égalité de tous devant l’impôt”, souligne à FRANCE 24 Jean-Pierre Magremanne, avocat fiscaliste belge qui trouve un tel arrangement très inhabituel.
Mais l’arme fiscale absolue est, d’après le rapport, l’Apple Operations International (AOI). Cette filiale irlandaise du groupe est en fait un mastodonte qui supervise l’ensemble des activités en Asie, en Europe, au Moyen-Orient, en Inde et en Afrique. Alors que cette entité a généré, entre 2009 et 2011, 30 milliards de dollars de bénéfices et qu’elle contribue à elle seule au tiers des profits totaux d’Apple, elle n’a payé nulle part l’impôt sur les sociétés.
Une prouesse qui vient du fait que l’AOI est un fantôme fiscal qui n’a ni bureaux, ni employés. Elle dispose uniquement d’une boîte aux lettres en Irlande. Aucun pays ne la considère comme résident fiscal et à ce titre cette filiale n’est imposée nulle part. Comment est-ce possible ? Elle est domiciliée en Irlande et n’est donc pas reconnue comme une entité américaine par les États-Unis. Mais son activité est gérée par un conseil d’administration qui se réunit à San Francisco et de ce fait ne rentre pas dans la définition irlandaise du résident fiscal.
Taux de 0,05%
“C’est la démonstration flagrante des contradictions entre les droits fiscaux nationaux irlandais et américain qui laissent des zones de non-droit alors même qu’il existe des conventions internationales [dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques(OCDE), NDLR]”, assure à FRANCE 24 Dominique Laurant, spécialiste français en droit fiscal, qui reconnaît n’avoir jamais vu noir sur blanc auparavant de filiale qui n’était résidente fiscale d’aucun pays.
L’AOI n’est pas le seul “apatride fiscale” de la galaxie irlandaise d’Apple. Une autre filiale, l'Apple Operations Europe (AOE), est également dans ce cas de figure, mais les sommes en jeu seraient sans commune mesure. Quant à l'Apple Sales International (ASI), qui vent les iPhone, iPad et autres aux distributeurs du monde entier, elle n’a payé en Irlande que 10 millions de dollars de taxes en 2001 sur un chiffre d’affaires de 22 milliards de dollars, soit un taux d’imposition de... 0,05%.
Apple reconnaît que ces filiales ne sont domiciliées fiscalement nulle part, mais nie qu’il s’agit de se soustraire à l’impôt. Le groupe a rappelé qu’il opérait en Irlande depuis les années 1980 et faisait vivre 4000 salariés dans ce pays. Le géant américain reconnaît qu’une réforme des impôts aux États-Unis pourrait changer la donne et l’inciter à rapatrier une partie de son trésor de guerre sur le sol américain. Tim Cook a affirmé, lundi 20 mai au "Washington Post", qu’il comptait faire des propositions au Congrès pour améliorer la taxation des entreprises aux États-Unis.