
Le gouvernement a tenté, mercredi, de minimiser l’impact de l’annonce du retour de la récession. Mais deux économistes interrogés par FRANCE 24 estiment que le symbole est fort et qu'il devrait encourager Paris à revoir ses politiques économiques.
C’est officiel, la France est de nouveau entrée en récession. Elle a enregistré, au premier trimestre 2013, une contraction de son PIB de 0,2 % après avoir connu une croissance négative de la même ampleur au dernier trimestre 2012, d’après les chiffres publiés mercredi 15 mai par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Une récession correspond techniquement à un recul du PIB pendant deux trimestres consécutifs.
Le président français François Hollande a reconnu, dans la matinée de mercredi, que la situation du pays “était grave” mais que cette récession était moins “profonde qu’en 2008 et 2009”. Le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, a, de son côté, tenté de minimiser l’importance de cette annonce assurant que la récession “n’était pas une surprise” et que le gouvernement maintenait malgré tout son objectif d’inversion de la courbe du chômage d’ici à fin 2013.
Deux économistes interrogés par FRANCE 24, Christophe Blot de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et Pascal de Lima, enseignant à Sciences-Po Paris, se montrent beaucoup plus pessimistes sur les perspectives à moyen terme de l’économie française.
FRANCE 24 : Qu’est-ce que cela change économiquement que la France soit officiellement en récession ?
Christophe Blot : Ca ne change rien dans la mesure où la donnée était déjà largement intégrée. La plupart des économistes et des organismes de prévisions anticipaient déjà depuis quelque temps que la France serait en récession en 2013.
Il n’y pas, en outre, une grande différence entre la croissance atone que le pays a connue tout au long de l’année 2012 et une contraction de 0,2 % du PIB. Il ne faut donc pas accorder trop d’importance, en terme d’impact économique, à cette annonce.
Pascal de Lima : C’est simplement la démonstration concrète pour la France de l’impact connu des mesures d’austérité sur l’activité économique. Car il ne faut pas se tromper : contrairement à ce que dit le gouvernement, la France mène actuellement une politique de pure austérité avec une augmentation très forte des impôts.
Reste que ce retour de la récession est symboliquement important. En effet, il intervient alors que les pays à la périphérie de l’Europe commencent à montrer des signes, certes encore faibles, d’amélioration de leur situation économique. Cela prouve donc que la crise économique qu’on disait cantonnée essentiellement aux pays du sud de la zone euro frappe maintenant le cœur de l’Europe.
Est-ce que cette entrée en récession de la France peut avoir un impact sur le reste de la zone euro ?
C. B. : Oui car cela entretient le climat récessionniste en Europe. La France, deuxième puissance économique du continent, est un partenaire commercial important pour nos voisins les plus proches. La récession risque de réduire les importations françaises, ce qui peut affecter l’Espagne, la Belgique, l’Italie et l’Allemagne. Le cas allemand est un peu à part, et il faut voir si Berlin réussit à compenser la baisse des importations françaises par une augmentation des importations d’autres pays, en dehors de la zone euro.
P. de L. : L’Allemagne va, à mon sens, se tourner encore plus vers les pays d’Europe de l’Est et la Russie pour stimuler ses exportations et tenter de se mettre à l’abri de la mauvaise forme économique de la France. Pour ce qui est des autres pays, l’impact sera à la marge car il n’y a pas une grande différence au niveau des importations entre une croissance morose et une faible récession.
"Inverser la courbe du chômage d'ici fin 2013 est illusoire"
L’autre enseignement des chiffres de l’Insee est la chute historique de 0,9% du pouvoir d’achat...
P. de L. : C’est à mon sens le point le plus important de l’annonce d’aujourd’hui. Cette chute du pouvoir d’achat annonce des mois à venir difficiles. Elle signifie que la consommation va baisser et la France va donc forcément avoir du mal à atteindre les 0,1 % promis par le gouvernement pour le trimestre prochain. N’oublions pas, en effet, que la consommation représente 60 % du PIB français.
Justement, malgré l’entrée officielle en récession, Pierre Moscovici maintient l’objectif d’inversion de la courbe du chômage d’ici à la fin 2013. Qu'en pensez-vous ?
P. de L. : C’est illusoire. Pour y arriver il faudrait une croissance pour cette année d’au moins 1,5 % qui est peu crédible. Le gouvernement devrait profiter des chiffres officiels pour sortir du déni de réalité. L’exécutif devrait en profiter pour dire clairement que la France va connaître une période de récession, qu’il n’y a donc pas beaucoup de marge de manœuvre et qu’il faut se montrer économiquement créatif. Une honnêteté qui pourrait permettre à l'équipe dirigeante de retrouver la confiance de la population.
C. B. : Il n’y a pas de signaux qui laissent entrevoir un retournement de la situation économique en France, donc pas de raison que la courbe du chômage s’inverse. Il est clair, en revanche, que le pouvoir devrait tenir compte de ce retour de la récession pour réfléchir et peut-être changer ses priorités économiques pour l’année prochaine.
La question est de savoir dans quel sens. La Commission européenne a préconisé, mercredi 15 mai, des réformes structurelles pour la France afin de tenir les engagements de réduction des déficits. Un programme qui peut être bon à moyen et long terme. Mais pour le court-terme ? C’est peut-être l’occasion de prendre ses distances avec l’austérité brutale et de ralentir les politiques de réduction des déficits.