
Le médiateur international de l'ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, Lakhdar Brahimi, est annoncé sur le départ. Fabrice Balanche, politologue spécialiste du Moyen-Orient, analyse les raisons et les conséquences de "cet aveu d'impuissance".
Neuf mois après sa nomination, Lakhdar Brahimi, envoyé spécial de l’ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, s’apprêterait, selon plusieurs sources diplomatiques, à démissionner. L’ancien ministre algérien des Affaires étrangères aujourd’hui âgé de 79 ans, rompu aux missions diplomatiques délicates - il avait notamment été l’un des artisans des accords de paix au Liban, en 1989, et avait représenté l’ONU en Irak en 2003, au lendemain de l’invasion américaine - avait été désigné en août 2012 pour succéder à Kofi Annan, lui-même démissionnaire.
L’homme a subi la semaine dernière un camouflet de taille : le régime syrien a fait savoir qu’il ne souhaitait plus coopérer avec lui, une conséquence directe de l’attribution, par la Ligue arabe, d’un siège à l’opposition syrienne.
Décryptage avec Fabrice Balanche, maître de conférence à l'université Lyon 2 et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.
FRANCE 24 : Si la démission de Lakhdar Brahimi se confirme, comment doit-on l’interpréter ?
Fabrice Balanche : C’est clairement un aveu d’impuissance. Lakhdar Brahimi a été nommé il y a neuf mois, après la démission de Kofi Annan, en août 2012. Au printemps 2013, la situation en Syrie s’est nettement dégradée. Il y a aujourd’hui une moyenne de 6 000 morts par mois ! Sur le terrain, les deux camps sont toujours persuadés qu’ils vont l’emporter. La fin des combats n’est donc pas imminente, loin de là.
Au niveau international, il y a toujours un blocage diplomatique entre les États-Unis, la Russie, mais aussi l’Iran, l’Arabie saoudite et le Qatar.
Pour Lakhdar Brahimi, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est le fait que la Ligue arabe attribue le siège de la Syrie à la Coalition nationale syrienne [la Syrie de Bachar al-Assad avait été exclue de l’organisation en 2011, NDLR]. En prenant ouvertement partie contre Bachar al-Assad, elle a torpillé le processus de dialogue. Brahimi, qui a été mandaté par l’ONU et la Ligue arabe, s’est donc senti complètement désavoué. L’émissaire n’apparaît désormais plus comme un médiateur neutre aux yeux de la Syrie. Dans ces conditions, que peut faire Brahimi ? Rien.
En neuf mois, quel est le bilan de la mission de Lakhdar Brahimi ?
F. B. : Brahimi n’a pas fait avancer grand-chose. D’ailleurs, sa mission était mal engagée dès le début. Il a commencé par se brouiller avec le Premier ministre du Qatar, puis sa relation avec Bachar al-Assad s’est détériorée. Il n’a pas été pris au sérieux par les Syriens, qui l’ont humilié à plusieurs reprises.
À l'origine, l’objectif de Brahimi était de conclure un "Taëf syrien", sur le modèle des accords signés en 1989 qui avaient mis fin à la guerre du Liban. Brahimi en avait été l’un des négociateurs.
Aujourd’hui, en Syrie, on est loin d’un tel accord. D’abord, le contexte international n’y est pas favorable. En 1989, on était à la fin de la Guerre froide, la communauté internationale essayait de résoudre pas mal de problèmes géopolitiques. Ensuite, le Liban traversait sa 15e année de guerre civile, les Libanais étaient épuisés par la guerre, ils voulaient à tout prix que ça cesse.
Mais, aujourd’hui, on est dans un tout autre contexte géopolitique. On traverse une sorte de retour dans une situation de blocage : on a plutôt tendance à mettre de l’huile sur le feu dans certaines régions du monde plutôt qu’à essayer de les apaiser. Et puis, au niveau local, en Syrie, les deux camps ne sont pas encore épuisés. En tout cas pas assez pour avoir envie de négocier. Dans ces conditions-là, tant au niveau international qu’au niveau local, Brahimi est depuis le début dans une situation très inconfortable.