, envoyée spéciale au Touquet – En pleine crise économique, c'est un film dans l'air du temps que le jury du Festival international du grand reportage d'actualité et du documentaire de société du Touquet a décidé de récompenser, ce dimanche.
"Merci pour les femmes !", lance le cinéaste Isaac Isitan en recevant son trophée, le Grand Prix 2009 du Festival du grand reportage d’actualité et du documentaire de société (Figra) du Touquet, dimanche, lors de la soirée de clôture de l'événement.
Son film, "Les femmes de la Brukman", raconte l’histoire des ouvrières d’une usine de Buenos Aires abandonnées par leurs patrons au lendemain de la crise économique de décembre 2001. Pendant plusieurs années, ces femmes, souvent mères de famille, vont se battre pour sauver leur usine, apprenant à gérer seules l’entreprise.
"C’est l’histoire de l’autogestion du pouvoir par ces mères, ces grand-mères", explique Isaac Isitan dans La Voix du Nord. "Les femmes nous donnent naissance, elles connaissent nos besoins. Si elles avaient le pouvoir, je suis certain qu’il n’y aurait pas de néolibéralisme et que personne n'aurait faim."
Pendant plusieurs années, le réalisateur a suivi et filmé leur combat contre leurs anciens patrons.
Les hommes taupes de New York
Sur les quelque 50 films projetés durant les cinq jours du festival, "Dans les entrailles de New York" a suscité l’effroi et la fascination des spectateurs. Sa réalisatrice, Chantal Lasbats, a exploré les sous-sols de New York pendant trois mois, à la recherche des "hommes taupes", des déçus du rêve américain qui ont trouvé refuge sous les gratte-ciel.
Dans les couloirs du festival, la réalisatrice explique que les vétérans du Vietnam ont été les premiers à investir le labyrinthe d’égouts et le réseau de stations de métro dans les années 1970. Jusqu'à 7 000 personnes ont ainsi vécu dans cette ville souterraine, jusqu’à ce que l'ex-maire de New York, Rudolf Giuliani, décide de "ratisser" les sous-sols pour contrer la menace terroriste.
Les rencontres avec ces réfugiés urbains n’ont rien de facile, car ils perçoivent les "gens du dessus" comme une menace. "On rencontre toutes sortes de gens [dans les tunnels] : des gens qui ont tout perdu, des drogués sous crack, des malades mentaux qui y ont trouvé refuge, etc. C’est presque aussi varié qu’en surface."
Les "Lyvravet", les vrais hommes du détroit de Béring
Comme Lasbats, le réalisateur français Frédéric Tonolli a aussi passé plusieurs mois en immersion pour faire son documentaire, "La mort d’un peuple" (vidéo principale), qui chronique la lente dégénérescence du village de Ouelen, situé sous le cercle polaire, dans l'extrême-orient russe. Les hommes qui vivent là sont des guetteurs, des "vrais hommes", "des Lyvravet", nom que s’était donné ce peuple, les Tchouktches.
"Je les ai rencontrés par hasard lors d’un reportage de 52 minutes parce que j’étais caméraman et que je parlais un peu russe", explique Frédéric Tonolli, lauréat du prix "Albert Londres" pour son premier documentaire sur les Tchouktches, "Les Seigneurs de Béring", en 1995, dans une interview à FRANCE 24.
Abandonnés par le régime soviétique, les Tchouktches ont survécu grâce à la chasse et à la pêche dans le détroit de Béring. Frédéric Tonolli les a rencontrés plusieurs fois en 1999, 2005 puis 2007. "C’était une obsession [de revenir] sans but précis, explique-t-il, je suis devenu le dépositaire de 200 heures d’archives."
Mais avec les Russes qui reprennent progressivement le contrôle de cette région arrivent l’alcool, la religion chrétienne et l’endettement. "Les vrais hommes" tombent dans l’alcoolisme et la dépression.
"J’ai toujours du mal à comprendre pourquoi les Tchouktches ont dégénéré aussi vite", déplore Tonolli. "En moins d’un siècle, ce peuple autosuffisant est devenu un peuple de zombis."