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Drones israéliens : "Amman prend des risques vis-à-vis de sa propre population"

Selon "Le Figaro", la Jordanie a décidé d'autoriser des drones israéliens à survoler son territoire pour effectuer des missions de surveillance en Syrie. Un choix qui risque de peser sur l'équilibre de la société jordanienne. Décryptage.

Selon une information du "Figaro" datant du 21 avril, la Jordanie autorise désormais des drones israéliens à survoler son territoire pour effectuer des missions de surveillance en Syrie. Ces aéronefs pilotés à distance pourront désormais pénétrer en territoire syrien pour y observer le conflit qui ensanglante le pays depuis plus de deux ans. Une décision qui risque de raviver l’ire de Damas qui voyait déjà d’un mauvais œil le déploiement d’un dispositif militaire américain en Jordanie dans le but d’"établir un quartier général" pour diriger les opérations relatives à la Syrie. Dans un entretien télévisé diffusé le 17 avril, le président syrien Bachar al-Assad avait ainsi prévenu Amman de veiller à ne pas attirer le conflit chez elle.

Fabrice Balanche, chercheur spécialiste de la Syrie, directeur du Groupe de recherches pour la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO), livre à FRANCE 24 des éléments d’explication sur la décision jordanienne.

Comment expliquer cette décision de la part d’Amman ?

Fabrice Balanche : Pour comprendre l’attitude de la Jordanie, il faut revenir sur son histoire. Jusqu’en 1990, le pays était soutenu par les États-Unis, mais également par Saddam Hussein ce qui l’a conduit à soutenir le dictateur irakien pendant la guerre du Golfe. Mais à l’issue de ce conflit où Amman a soutenu le perdant, la Jordanie a été complètement à genoux économiquement. Privée de l’aide irakienne et tombée en disgrâce par rapport aux Américains qui lui réclament le paiement de ses dettes, la Jordanie était alors complètement exsangue économiquement. C’est à ce moment-là, en 1994, qu’elle a signé un traité de paix avec Israël.

Redevenue ainsi une alliée de Washington, elle dépend désormais totalement de l’aide financière américaine mais aussi des pays du Golfe. Aujourd’hui, la Jordanie est dans une impasse économique et représente aussi une bombe démographique avec un taux de fécondité équivalent à celui de la Syrie mais bien moins de richesses naturelles et de potentiel en terme d’agriculture que son voisin. La Jordanie est donc liée en permanence aux politiques des États-Unis et à celle des pays du Golfe. Selon l’article du "Figaro", cette décision d’autoriser le survol du pays par des drones israéliens a été prise lors de la visite en Jordanie du président Barack Obama, les 22 et 23 mars, qui revenait alors précisément d’Israël. Ce n’est pas par hasard : Amman peut difficilement dire non à Washington.

La Jordanie ne prend-elle pas le risque de provoquer la colère de Damas et de subir d'éventuelles représailles ?

F.B. : Ce n’est pas tant une prise de risque par rapport à Damas que par rapport à sa propre population. La Jordanie sait parfaitement que la Syrie n’a pas les moyens de l’attaquer. C’est plutôt risqué par contre vis-à-vis de la population jordanienne. Il ne faut pas oublier que plus de la moitié des Jordaniens sont d’origine palestinienne, et s’il est vrai qu’un traité de paix a été signé avec Israël, il a toujours été très mal accepté par la population. Si l’information se répand, il peut y avoir une contestation au sein de la population voire des émeutes. Mais à mon avis, les autorités jordaniennes joueront l’apaisement. Il faut aussi prendre en compte que le roi Abdallah est contesté : il y a eu des manifestations à l’automne dernier orchestrées par les Frères musulmans réclamant des réformes.

Pourquoil'Etat d'Israël veut-il effectuer des missions de surveillance en Syrie plus de deux ans après le début du conflit ?

F. B. : Cela fait longtemps qu’Israël essaie de surveiller ce qui se passe en Syrie, évidemment par crainte de voir le conflit déborder ses frontières. Mais là, la situation a changé et est devenu trop dangereuse. Il y a trois mois encore, la frontière sud de la Syrie limitrophe de la Jordanie et du Golan était bien tenue par l’armée syrienne. Mais depuis un nouveau front s’est ouvert dans le sud de la Syrie, dans la région de Deraa. Les rebelles se sont emparés de plusieurs villes et d’une partie du plateau du Golan.

Les Israéliens sentent bien que le sud de la Syrie échappe au régime et veulent pouvoir garder un certain contrôle. Il y a en effet eu des tirs vers Israël auxquels l’Etat hébreu a riposté. Mais cette réponse n’est en rien comparable à la puissance de feu dont Israël est capable s’il est attaqué. Cela montre bien que les Israéliens veulent rester prudents avec la Syrie, pour des raisons de sécurité, mais également parce qu’ils savent que s’ils entrent en Syrie cela ne fera que servir la cause d’Assad.

Quelles peuvent être les conséquences pour la Syrie ?

F. B. : Ce genre d’information est du pain béni pour le régime syrien qui va en user et en abuser pour sa propagande en pointant du doigt la traîtrise de la Jordanie et le fait que la Syrie est bien visée par Israël. Ce dont on a du mal à se rendre compte en Occident, c’est que la théorie du complot fonctionne plutôt bien sur la rue arabe.