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"Assad signifie à la Jordanie de faire attention à ne pas attirer le conflit chez elle"

Dans un entretien télévisé, Bachar al-Assad a mis en garde la Jordanie contre le risque de contagion du conflit syrien. Une allusion à peine voilée aux forces américaines déployées sur son territoire et à la fragilité du royaume hachémite.

Il est apparu détendu, souriant. Bachar al-Assad a accordé un entretien à la chaîne officielle Al-Ikhbariya, diffusé mercredi 17 avril. Le président y livrait sa vision du conflit qui embrase la Syrie depuis plus de deux ans et qui a causé la mort de plus de 70 000 personnes. Au détour d’une phrase, il a notamment évoqué la Jordanie et le risque qu’elle courait de voir le conflit gagner son territoire. "L'incendie ne s'arrêtera pas à nos frontières, tout le monde sait que la Jordanie est aussi exposée à la crise que la Syrie", a ainsi déclaré l’homme fort de Damas.

Comme si la Jordanie avait bien reçu le message, Amman s’est empressé jeudi 18 avril de rassurer sur ses intentions. "Notre position concernant la situation en Syrie n'a pas changé. Nous sommes toujours contre toute intervention militaire en Syrie. Nous demandons instamment une solution politique pour mettre fin à l'effusion de sang en Syrie", a indiqué le ministre de l'Information et porte-parole du gouvernement jordanien Mohamed Momani à l'AFP.

Mise en garde

Derrière ces échanges par voix de presse interposée transparaît en filigrane la pomme de discorde : Washington a annoncé cette semaine un renforcement du dispositif militaire américain en Jordanie, qui dépassera les 200 hommes. Ils s’ajoutent aux 150 militaires des forces spéciales déjà déployés en octobre en Jordanie. Le Pentagone avait alors précisé que les soldats américains aideraient notamment à "établir un quartier général" pour diriger les opérations relatives à la Syrie. C’est bien là ce qui provoque l’ire de Damas qui accuse des puissances étrangères de soutenir la rébellion et la Jordanie d’entraîner les combattants rebelles et de faciliter l’entrée de "milliers" d'entre eux en Syrie.

"Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait par hasard que le soulèvement syrien a commencé à Deraa", relève Frédéric Pichon, historien et spécialiste de la Syrie, évoquant la proximité du berceau de la contestation syrienne avec la frontière jordanienne et ses liens avec les Frères musulmans de Jordanie. "Le régime syrien est coutumier de la menace", observe-t-il, analysant les propos du dirigeant syrien. "Reste qu’il n’a pas du tout les moyens d’attaquer la Jordanie ni intérêt à le faire", poursuit-il. Aussi l’historien y voit plus une forme de mise en garde envers la Jordanie, et à travers elle envers les États-Unis. "Assad a voulu rappeler la position de la Syrie comme verrou stratégique dans la région, analyse-t-il. Il signifie à Amman et Washington de faire attention à ne pas attirer le conflit en Jordanie si l’un ou l’autre met le doigt dans l’engrenage syrien."

Le royaume hachémite est en effet particulièrement fragilisé par le conflit syrien. Tout d'abord en raison de sa position géographique. À titre d’exemple, la frontière syro-jordanienne n’est qu’à 1h30 de route de la capitale Amman. Ensuite en raison du poids que constituent les réfugiés syriens pour le pays. À ce jour, les autorités jordaniennes ont dénombré plus de 500 000 réfugiés syriens sur le sol jordanien. Elles ont d’ailleurs mis en place plusieurs structures pour les accueillir, dont le camp de Zaatari qui fut à plusieurs reprises le théâtre de violences. Aussi, le Premier ministre jordanien Abdallah Nsour a indiqué au Parlement que l'impact de la guerre en Syrie présentait une menace pour la sécurité du royaume et que la Jordanie pourrait à ce sujet demander l'aide du Conseil de sécurité de l'ONU.

Les Frères musulmans puissants en Jordanie

Au-delà de la mise en garde, Frédéric Pichon voit dans les propos de Bachar al-Assad une certaine analyse de la situation. "Quand il dit tout le monde sait, il n’a pas tout à fait tort : la Jordanie est le maillon faible du Proche-Orient. De nombreux chercheurs pensent que la Jordanie sera le prochain à connaître un soulèvement consécutif aux Printemps arabes, explique le chercheur. Cela fait plusieurs mois qu’il y a une agitation certaine en ce sens."

Selon lui, plusieurs facteurs affaiblissent le royaume hachémite. "Depuis ses origines la Jordanie vit sous perfusion américaine, ce qui en dit long sur son économie", rappelle en premier lieu Frédéric Pichon qui souligne qu’il est par conséquent difficile pour la Jordanie, que Washington considère comme un allié-clé dans la région, de refuser d’accueillir des soldats américains.

"En outre, les Frères musulmans y sont très puissants", ajoute-t-il. Contrairement à la Syrie, les Frères sont tolérés en Jordanie et représentent un parti d’opposition très structuré. Le mouvement islamiste y jouit de surcroît d’une solide assise au sein de la bourgeoisie sunnite du pays. Frédéric Pichon évoque ainsi les manifestations qui, l’automne dernier, ont agité le pays à l’instigation des Frères. "La contestation est allée assez loin, puisque les protestataires ne demandaient pas uniquement des réformes mais carrément la démission du roi", explique-t-il. Une éventualité qui n’effraierait pas Washington. Selon Frédéric Pichon, "si révolution il y a en Jordanie, les États-Unis s’en accommoderont et continueront de coopérer avec le nouveau pouvoir comme ils l’ont fait en Égypte".