Jamais depuis près de 25 ans, le Festival de Cannes n'avait vu autant de réalisateurs français en compétition. Sur les 19 concurrents pour la Palme d'or, qui sera décernée le 26 mai, six sont de nationalité française. Revue de détails.
Faut-il y voir la volonté de redonner des couleurs au cinéma français ? Après une année marquée par de retentissants psychodrames, le 7e art hexagonal peut se targuer d’avoir su susciter l’attention de l’exigent comité de sélection du plus prestigieux des festivals de cinéma. Pas moins de six réalisateurs de nationalité française, sur les 19 en compétition (voir la liste détaillée), concourront pour la Palme d’or, du 15 au 26 mai, à Cannes. De mémoire de festivaliers, la présence hexagonale n’avait pas été aussi importante depuis près de 25 ans. De quoi faire oublier un temps les scandales liés à l’exil fiscal de Gérard Depardieu et les rémunérations jugées mirobolantes des vedettes tricolores…
Prophètes en leur pays ?
Grand habitué de la Croisette, Arnaud Desplechin reviendra sur la Côte d’Azur avec un long-métrage bien loin de son registre habituel, selon Thierry Frémaux, délégué général du Festival. Avec "Jimmy P.", ce digne représentant du cinéma d’auteur hexagonal s’éloigne un temps des cellules familiales françaises un brin dysfonctionnelles pour s’intéresser aux relations entre un Amérindien et son psychothérapeute. Tournée aux États-Unis, cette adaptation de l’œuvre de l’ethnographe George Devereux "Psychothérapie d’un Indien des plaines" réunit l’acteur américain Benicio del Toro et le Français Mathieu Amalric. Alléchant.
Revenu bredouille en 2003 avec "Swimming Pool", François Ozon présentera - on ne peut pas faire plus cannois - "Jeune et jolie". Jeune et jolie comme Marine Vacth, l’actrice et mannequin campe une adolescente de 17 ans qui se prostitue pour son plaisir.
Tout aussi séduisante, mais plus expérimentée, Léa Seydoux montera les marches du Palais des Festivals pour "La Vie d’Adèle" d’Abdellatif Kechiche ("L’Esquive", "La Graine et le Mulet"), dont c’est la première sélection à Cannes. Longue adaptation (le film dure trois heures) de la bande dessinée "Le bleu est une couleur chaude" de Julie Maroh, le cinquième opus du cinéaste franco-tunisien explore les amours lesbiennes de deux adolescentes. Assurément l’un des longs métrages les plus attendus sur la Croisette cette année.
Lauréat de la Palme d’or en 2002 avec "Le Pianiste", le Franco-Polonais Roman Polanski pourrait intégrer le club très fermé des double-palmés (Francis Ford Coppola, Mickael Haneke entre autres) avec "La Vénus à la fourrure", tiré de l’un des chefs d’œuvre de la littérature érotique. Au casting de cette "bleuette" tendance masochiste : Emmanuelle Seigner, l’épouse du cinéaste, et Mathieu Amalric.
Une femme française
Pour la première fois en lice pour la Palme, Valérie Bruni-Tedeschi fait figure, cette année, d’unique représentante féminine de la compétition. Son "Château en Italie", plongée au cœur de la bourgeoisie italienne, serait en grande partie auto-biographique. Pour son troisième film en tant que réalisatrice, l’actrice-cinéaste s’est adjoint les services de Louis Garrel -encore lui - et Xavier Beauvois. Longtemps annoncées, Sofia Coppola et son "The Bling Ring" ainsi que Claire Denis et ses "Salauds" ne viendront pas grossir les rangs féminins de la compétition : toutes deux ont été sélectionnées dans la section Un certain regard.
Beaucoup plus confidentiel, Arnaud des Pallières constitue l’une des surprises de cette sélection. Auteur de films historico-politico-philosphiques ("Drancy avenir", "Adieu"), le cinéaste français se rendra sur la Croisette avec "Michael Kohlhaas", l’histoire d’un marchand de cheval du XVIe siècle. Dans le rôle titre, Mads Mikkelsen, prix d’interprétation masculine de Cannes 2012. De bon augure…
Il n’est pas français, mais son film l’est. L’Iranien Asghar Farhadi, auteur du multi-récompensé "La Séparation", fera le déplacement avec un film tourné dans la langue de Molière. Rien n’a filtré de l’histoire de "Le Passé" qui met en scène Bérénice Béjo et Tahar Rahim. Mystère, mystère…
L’Amérique des poids lourds
Après les Français, les Américains constituent la plus importante délégation de cette course à la Palme. Déjà représentés par un prestigieux président du jury - Steven Spielberg - les États-Unis peuvent d’ores et déjà espérer récolter quelques prix. D’autant que ses réalisateurs sélectionnés jouissent d’une indéniable reconnaissance internationale.
Les poids lourds Ethan et Joel Coen (Palme d’Or 1991 avec "Barton Fink") proposeront "Inside Llewyn Davis", hommage à la musique folk américaine avec Justin Timberlake au casting. Voilà pour la caution glamour de ce 66e Festival de Cannes.
Toujours dans le registre musical, c’est le pianiste homosexuel Liberace, connu pour ses extravagances, qui est au centre de "Behind the Candelabra" de Steven Soderbergh. Dans le rôle titre aux côtés de Matt Damon, Michael Douglas fait déjà figure de sérieux postulant au prix d’interprétation.
L’exigeant James Gray sera quant à lui présent avec "The Immigrant", une fresque historique dans l’Amérique des années 1920 avec le prometteur duo Joaquin Phoenix-Marion Cotillard. Présent l’an passé en qualité de membre du jury, le réalisateur Alexander Payne foulera le tapis rouge cannois avec un road-movie nommé "Nebraska".
Petite Europe, minuscule Afrique…
Les Japonais Hirokazu Kore-Eda ("Like father, like son") et Takashi Miike ("Shield of Straw") ainsi que le Chinois Jia Zhangke (“A Touch of sin”) composent le contingent asiatique.
Du côté des Européens, notons la présence de l’enfant terrible danois Nicolas Winding Refn. Deux ans après avoir conquis la Croisette avec son stylisé "Drive", le cinéaste revient avec Ryan Goslingn son acteur fétiche, et Kristin Scott-Thomas pour "Only God Forgives", un thriller ultra-violent dans la Thaïlande des bas-fonds.
"La Grande Bellezza" de l’Italien Paolo Sorrentino et "Borgman" du Néerlandais Alex Van Warmerdam complètent la faible représentation européenne. Encore plus famélique, la délégation africaine sera composée du seul Tchadien Mahamat-Saleh Haroun et son "Grisgris", l’histoire d’un jeune danseur aux rêves contrariés. De son côté, le Mexicain Amat Escalante ("Heli") sera l’unique réalisateur d’Amérique centrale à concourir pour la précieuse palme.