
La Ligue des droits de l'Homme a publié son rapport annuel, intitulé "République en souffrance". Sur la question des Roms ou encore du droit de vote des étrangers, le document dénonce les "hésitations" et les "reniements" du gouvernement.
"Une gauche orpheline de valeurs, incapable de se démarquer des politiques mises en œuvre antérieurement", "des hésitations au reniement", une "prudence qui l'emporte sur l'audace", une "navigation à courte vue"... L'édition 2013 de l'État des droits de l'Homme, publiée jeudi 18 avril par la Ligue des droits de l'Homme, n'est pas tendre avec l'action gouvernementale depuis l'élection du président François Hollande.
Pierre Tartakowsky, le président de la Ligue des droits de l'Homme, explique à FRANCE 24 pourquoi son ONG est déçue par la politique menée ces derniers mois.
La principale conclusion de ce rapport, c'est que les promesses du "changement maintenant" n'ont pas été tenues ?
Pierre Tartakowsky : Un certain nombre de promesses implicites, comme l'instauration d'un récépissé lors des contrôles de police et le droit de vote des étrangers, ont été gérées de façon frileuse. Une frilosité qui participe d'une volonté de ne pas affronter l'adversaire.
Aujourd'hui, il paraît très difficile d'envisager que le gouvernement puisse avancer sur ces questions, alors qu'il aurait été très facile de le faire après l'élection de François Hollande. En politique, il y a des "moments" : on peut accomplir des choses quand on enthousiasme les gens.
Bien sûr nous sommes déçus, mais ce n'est pas le plus grave. Ce qui est grave, ce sont les conséquences pour la France à 10 ou 15 ans. En n'imposant pas le droit de vote des étrangers par exemple, on donne l'impression à ces gens-là qu'ils ne valent pas la peine qu'on se batte pour eux. On inscrit dans la société un sentiment d'inégalité très profond.
Le dossier des Roms est-il emblématique du renoncement du pouvoir ?
P. T. : Ce dossier est emblématique d'un choix stratégique. Le problème des Roms n'est pas le premier problème de la France. C'est un problème social, complexe, récurrent. La circulaire du 26 août 2012 [signée par 7 ministres, NDLR] constituait une avancée importante : elle affirmait que le problème des Roms n'était pas uniquement un problème relevant du ministère de l'Intérieur mais aussi de la Santé, de l'Éducation nationale...
Mais tout à coup, le ministre de l'Intérieur adopte des méthodes brutales, répressives et sans objet - on sait que lorsqu'un camp est démantelé, il sera reconstruit ailleurs. Il s'assied sur la circulaire et continue à expulser, en prenant soin de prévenir les caméras des journaux télévisés [dans un rapport publié début avril, l’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme affirme que le nombre de Roms étrangers évacués au cours du premier trimestre 2013 est en forte augmentation par rapport au premier trimestre 2013 : 4 152 personnes ont dû quitter leur lieu de vie, soit 1/5 des Roms vivant en France, NDLR]. Manuel Valls rejoint ainsi le pouvoir précédent en instrumentalisant les "grandes peurs" des Français.
Ce que vous reprochez avant tout au gouvernement, c'est de renoncer à l'affrontement sur les dossiers sensibles ?
P. T. : Absolument. Le gouvernement a commis une erreur stratégique sur le droit de vote des résidents non Européens aux élections locales. S'il avait adopté dès le départ une posture offensive, plutôt que de paraître gêné, il n'aurait pas dégagé un véritable espace d'intervention à la droite. L'opposition était à cette époque démantibulée, mais aux aguets. Elle a compris que le gouvernement comme le Parti socialiste n'étaient pas à l'aise et qu'ils ne faisaient pas de cette question une priorité. La gauche a fait des concessions avant même l'affrontement ! Elle n'a pas capitulé, puisqu'elle ne s'est pas battue : elle a renoncé.
Sur le récépissé, c'est la même chose. Le gouvernement avait un boulevard pour expliquer qu'il y avait une incompréhension entre la police et la population, notamment la jeunesse. Il pouvait dire qu'il allait expérimenter, faire quelque chose pour remédier à cette situation. Des collectivités locales étaient prêtes à se lancer, mais avant même la publication du rapport du Défenseur des droits, Manuel Valls a dit que ces récépissés étaient une usine à gaz. Plus le gouvernement sera hésitant, plus l'agressivité de la droite grandira.
Qu'attendez-vous, aujourd'hui, du pouvoir ?
P. T. : Il doit reconstruire la confiance, qui est très atteinte, en jouant la carte du débat, en assumant toute une série de questions. On n'attend pas que le pouvoir comble le déficit des comptes publics, mais qu'il construise une autre société basée sur la justice, l'égalité, le droit. Où sont passés les Grenelle de la sécurité publique, de l'élargissement de la citoyenneté ? Le fonctionnement de la démocratie n'est pas satisfaisant.
La gauche a peut-être pensé que sa fonction historique était de restaurer le calme et la sérénité, après un quinquennat électrique qui a fatigué, brutalisé la France. Mais elle doit aussi affronter les problèmes et les régler. Autrement, elle maintient un ordre social préétabli et injuste. Le pouvoir a aussi sans doute voulu affirmer sa crédibilité à combler les déficits sociaux. Mais les mesures telles que le droit de vote des étrangers ou le non-cumul des mandats ne coûtent rien à la République. Et combler les déficits ne constitue pas un projet de société.
Y a-t-il malgré tout eu des changements depuis l'élection de François Hollande ?
P. T. : Oui, il y a eu une rupture. François Hollande n'est pas Nicolas Sarkozy ; ce gouvernement ne nous tient pas des discours comme celui de Grenoble [un discours sur la sécurité et l'immigration prononcé par Nicolas Sarkozy le 30 juillet 2012, NDLR]. Sur la question de la justice, le travail de la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, comporte des éléments très positifs ; le mariage pour tous est une avancée. La musique de ce pouvoir rompt tout de même très agréablement avec celle du pouvoir précédent.