
Le parti Alternative pour l’Allemagne a été fondé dimanche 14 avril à Berlin avec la fin de l’euro comme unique leitmotiv. Un mouvement anti-establishment qui n’est pas pour autant populiste, juge le politologue allemand Tilman Mayer.
Un nouveau parti politique anti-establishment vient de voir le jour en Allemagne, Alternative für Deutschland (AfD, Alternative pour l’Allemagne). Fondé à Berlin dimanche 14 avril, il espère jouer les trouble-fête - à l’image d’un Beppe Grillo en Italie - lors des élections législatives de novembre. Pour ce faire, son dirigeant, l’économiste Bernd Lucke, mise sur une seule idée : la disparition de la monnaie unique et le retour au bon vieux Deutsche Mark.
AfD se place ainsi d’entrée de jeu en marge de l'échiquier politique allemand traditionnel. Toutes les formations gouvernementales, que ce soient les chrétiens démocrates de la chancelière Angela Merkel (CDU), les libéraux du FDP ou encore les sociaux-démocrates de gauche (SPD), défendent en effet une ligne très pro-européenne.
Mais Bernd Lucke assume pleinement son positionnement anti-système. Son nouveau parti n’est “ni de droite, ni de gauche” et prétend lutter contre les “partis politiques établis”. Ils seraient, d’après lui, à l’origine d’une “dégénérescence effrayante du parlementarisme allemand”. La preuve d'après lui : alors que près d'un Allemand sur cinq est critique à l'égard de l'euro, la quasi-totalité du Parlement allemand défend bec et ongles la monnaie unique.
Pour le politologue allemand Tilman Mayer, enseignant à l’université de Bonn, il ne faut pourtant pas se tromper. L’AfD ne serait pas l’équivalent allemand du “Mouvement 5 étoiles” italien et Bernd Lucke n’a rien d’un Beppe Grillo. Entretien.
FRANCE 24 : En France, Alternative pour l’Allemagne est dépeint comme un parti populiste qui pourrait s’apparenter au “Mouvement 5 étoiles” de l’ex-comique italien Beppe Grillo, est-ce un parallèle qui vous semble judicieux ?
Tilman Mayer : Bernd Lucke n’est pas un Beppe Grillo allemand et son parti n’est pas dans le registre vulgaire et populiste du “Mouvement 5 étoiles”.
L’Alternative pour l’Allemagne est une initiative d’un tout autre ordre. Ses membres sont essentiellement des déçus de la CDU - le parti de la chancelière Angela Merkel - et du FDP [les libéraux allemand, NDLR]. Son fondateur est un économiste très reconnu en Allemagne qui a une connaissance aiguë des dysfonctionnements de la monnaie unique.
Malgré les déclarations de ses dirigeants, l’AfD est donc un parti issu du système. Ce nouveau mouvement politique a simplement choisi un programme - l’opposition à l’euro - qui permet de les différencier facilement des autres formations.
FRANCE 24 : Est-ce qu’un parti qui milite pour la disparition de la monnaie unique peut avoir un succès électoral dans un pays comme l’Allemagne qui a beaucoup profiter de l’euro ?
T.M. : Il y a environ un Allemand sur cinq qui est actuellement opposé à la ligne pro-européenne du gouvernement, donc dans l’absolu le parti Alternative pour l’Allemagne a une vraie audience. Mais ce n’est pas pour autant que ce message peut se transformer en succès électoral. Une partie des Allemands reproche certes à Angela Merkel de trop payer pour sauver les pays du sud de l’Europe, mais ils ne sont pas pour une sortie de l’euro.
En se focalisant seulement sur l’opposition à la monnaie unique, Alternative pour l’Allemagne ne devrait donc pas obtenir, à mon avis, plus de 2 ou 3% aux prochaines élections législatives de novembre.
FRANCE 24 : À votre avis Alternative pour l’Allemagne est donc voué à l’échec ? Pourquoi l’avoir créé alors ?
T.M. : D’abord, il faut comprendre où ce parti se situe sur l’échiquier politique allemand. AfD est un mouvement conservateur qui ambitionne de capter une partie de l’électorat qui vote traditionnellement à droite et qui est en désaccord avec Angela Merkel. Si ce mouvement peut mettre des bâtons dans les roues de la CDU en les privant de quelques voix qui pourraient se révéler essentielles lors des élections législatives de novembre, il obligerait Angela Merkel à le prendre au sérieux.
Ensuite, je pense qu’on se trompe d’échéance. L’ambition d’AfD est davantage sur le long terme et le vrai test pour eux devrait être les élections européennes de 2014. D’ici là je ne serai pas surpris de constater que leur plateforme politique se soit élargie. À mon sens, ce nouveau parti s’est lancé avec un slogan choc pour capter l’attention et va peu à peu s’emparer de thèmes plus sociétaux qui leur permettront de se présenter comme une véritable alternative crédible à la droite allemande incarnée par Angela Merkel. C’est pour ça que je pense que ce nouveau mouvement est un moment important de la vie politique allemande.