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La Russie tend la main à Chypre pour mieux profiter de ses réserves de gaz

Chypre, après avoir refusé le plan de sauvetage européen, pourrait se montrer favorable à l'offre de Moscou, qui lui propose son aide financière contre de juteux contrats gaziers. Mais la Russie n’est pas seule à convoiter le gaz de Méditerranée.

En pleine crise chypriote, Moscou tente un coup de maître. Alors que Bruxelles veut imposer un plan de sauvetage sévère à Nicosie - incluant une impopulaire taxe sur les avoirs bancaires, rejetée par le Parlement chypriote mardi soir - la Russie fait une autre proposition alléchante. Elle accepterait, selon la presse russe, de fournir une aide financière à Nicosie en échange de licences exclusives de prospection gazières. Car si l’île se trouve aujourd’hui au bord de la faillite, elle est par ailleurs assise sur un véritable trésor : Aphrodite, le plus gros des gisements de gaz découverts au cours de ces dix dernières années, estimé à quelque 600 milliards d’euros. Une manne que Moscou lorgne depuis l’annonce de sa découverte, à l’automne 2012.

Gazprom tente de séduire Aphrodite

À l’époque, les négociations entre les autorités chypriotes et le géant public russe Gazprom pour l’attribution de permis d’exploration avaient échoué au profit, notamment, du français Total et de l’Italien ENI associé au Nord-Coréen Kogaz. La Russie essaye aujourd’hui d’inverser la donne et de jouer un coup de poker gagnant sur tous les points : elle pourrait, en plus de mettre la main sur les énormes réserves d’hydrocarbures chypriotes – renforçant ainsi son rôle majeur sur le marché européen du gaz -, éviter la taxation des quelque 19 milliards d’avoirs russes placés, selon Moody’s, dans les banques chypriotes, et assurer une présence en Méditerranée. Car selon le très sérieux blog américain spécialisé dans la finance Zero Hedge, Moscou serait également en pourparlers avec Chypre au sujet de l’installation d’une base navale permanente. La seule dont elle dispose aujourd’hui en Méditerranée, à Tartous, en Syrie, est menacée par le conflit dans le pays.

Sauf que la Russie n’est pas seule à succomber aux charmes d’Aphrodite. La Turquie, qui ne reconnaît que la "République turque de Chypre-Nord", ne compte pas laisser passer une telle occasion. Ankara revendique ainsi sa souveraineté sur la quasi-totalité des parcelles d’ores et déjà attribuées par Nicosie à des compagnies pétrolières. Depuis septembre 2011, lors du forage des premiers puits d’exploration au large de l’île, Ankara a multiplié les manœuvres militaires dans la zone pour imposer sa présence. La Turquie a également menacé d’exclure de ses projets énergétiques toutes les firmes retenues pour l’exploration du gaz dans les eaux territoriales de Chypre. En août 2012, l’Égypte a également revendiqué une partie du champ pétrolier chypriote. De vifs débats s’annoncent donc à l’ONU, lors de la détermination des souverainetés sur les fonds marins...

Un gisement surestimé ?

Si les pays de la zone s’écharpent autour des champs gaziers, le volume de gaz qu’ils contiennent n’est pourtant pas encore réellement établi scientifiquement. En attendant le forage de nouveaux puits d’évaluation, prévus cet automne, nul ne sait si le gisement recèle autant de gaz que l'estiment les experts et s’il est commercialement exploitable. En outre, il devrait s’écouler plusieurs années – au moins dix ans selon certains spécialistes – avant que cette manne se transforme en espèces sonnantes et trébuchantes dans les caisses des États… Le coup tenté par Moscou auprès du gouvernement chypriote pourrait donc s’avérer être un pari risqué. La bataille pour le gaz en Méditerranée ne fait que commencer, d’autant qu’un autre gisement, au large du port israélien d'Haïfa, le Léviathan, est lui aussi revendiqué par plusieurs pays de la région.