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Rejet de la taxe bancaire : "Les Chypriotes ont tenu tête à Merkel"

Les Chypriotes se réjouissent du rejet par le Parlement du plan de sauvetage européen. Depuis l'annonce de cette mesure choc, les banques sont fermées mais les habitants s'adaptent à la situation.

May Chehab vient tout juste d’appeler sa banque. Même si l’établissement est fermé depuis l’annonce du plan de sauvetage proposé par l’Union européenne le 16 mars, sa conseillère a répondu normalement à ses questions. "Elle m’a dit qu’ils étaient en train de remplir les distributeurs automatiques. En revanche, la banque sera probablement encore fermée jusqu’au 26 mars", explique à FRANCE 24 cette expatriée grecque, qui vit à Nicosie depuis 13 ans.

Un plan B

Le président chypriote présentera jeudi un "plan B" aux partis politiques, ont annoncé les médias publics, pour empêcher une faillite de l'île après le rejet mardi 19 mars par le Parlement d'une taxe sur les dépôts bancaires.

Ce Plan B pourrait comprendre un prélèvement sur les dépôts bancaires supérieurs à 100 000 euros, a indiqué la télévision publique chypriote.

Comme la plupart des habitants de l'île, May Chehab ne se laisse pas gagner par la panique. Même si de nombreux Chypriotes se sont rués vers les distributeurs dans l’espoir de vider leurs comptes, il n’y a pas eu de débordements ni de scènes de violences. "Ils sont choqués et inquiets, mais ils ne le montrent pas dans leur comportement. Les Chypriotes ont gardé un certain flegme de l’occupation britannique [l’île est restée sous domination de la Grande-Bretagne de 1878 à 1960, NDLR]. Cela les différencie beaucoup du tempérament habituel des Méditerranéens", constate-t-elle.

Pour cette enseignante, une partie du peuple chypriote semble même résignée et prête à accepter des sacrifices : "Il y a eu un précédent lors de l’invasion de l’île par l’armée turque [en 1974, NDLR]. Le gouvernement avait alors demandé aux Chypriotes de réduire leur salaire pour faire face à la crise. Cette solidarité avait porté ses fruits. Sur la base de cette expérience positive, certains ne sont pas contre un nouvel effort".

Une activité au ralenti

Mais une autre frange de la population a décidé de faire entendre sa voix. Des milliers de Chypriotes se sont rassemblés le 19 mars devant le Parlement pour manifester leur colère. Dans la foule, Gatienne Thibaut, une restauratrice française installée depuis 10 ans à Chypre, a assisté avec émotion à l’explosion de joie lors de l’annonce du rejet du plan de sauvetage par le Parlement. "C’est un peuple de conviction. Ils n’ont pas voulu se laisser tondre et impressionner. C’est une question de dignité. C’est un tout petit pays de 800 000 personnes, qui a dit à la femme la plus puissante du monde [Angela Merkel, NDLR] d’aller se faire voir !", s’exclame-t-elle avec fierté.

La gérante a pris fait et cause pour son pays d’adoption. Elle a lancé une page sur Facebook où elle informe les internautes heure par heure sur les événements. Elle se sent pleinement concernée car son compte bancaire est bloqué jusqu’à nouvel ordre : "Je ne pensais même pas qu’une telle chose pouvait arriver. C’est mon argent et il est pris en otage !".

Au quotidien, elle souffre de ce "blocus monétaire". L’activité de son restaurant est au ralenti : "Ces derniers jours ont été très calmes. Les rares clients ont payé en cash. Les opérations bancaires sont arrêtées. Je devais payer un fournisseur et aussi passer une commande en France, mais les transferts sont impossibles", explique-t-elle. Gatienne Thibaut a peur que la situation actuelle signe l’arrêt de mort de nombreux commerces. "Les magasins sont vides. Hier, j’ai vu deux petits vieux dans une boutique de chaussures. Ils étaient assis dans le noir à se regarder, raconte-elle-avec émotion. Les entreprises étaient déjà fragilisées à cause de la crise et là on les pousse encore un peu plus et elles vont tomber."

Malgré le pessimisme ambiant, cette immigrée française n’a pas envie de retrouver sa terre natale. "Si je quitte Chypre, ce serait pour partir en dehors de l’Europe, pas pour la France. C’est hors de question ! Si cela arrive ici aujourd’hui, c’est une évidence, cela pourrait arriver en France", conclut-elle avec inquiétude.