
L'islamiste Ghassan Hitto a été élu Premier ministre, lundi à Istanbul, par la Coalition nationale syrienne. Cet ex-cadre dans les télécommunications, qui a longtemps vécu aux États-Unis, aura la tâche de fédérer la rébellion syrienne. Éclairage.
Il y a encore quelques mois, il était cadre supérieur dans une compagnie de télécommunications au Texas (États-Unis). Mais depuis lundi 18 mars, il est le représentant politique de l’opposition syrienne. Au terme de 14 heures de consultations, les quelque 70 membres de la Coalition nationale syrienne réunis à Istanbul ont en effet élu Ghassan Hitto au poste de Premier ministre intérimaire des territoires syriens aux mains de la rébellion.
Né à Damas en 1964, Ghassan Hitto, titulaire d’un master d’informatique de l'Université Purdue d'Indiana, vit aux États-Unis depuis plus de 25 ans. Dès le début du soulèvement en Syrie en 2011, ce sunnite d’origine kurde et proche des Frères musulmans met sur pied la Shaam Relief Foundation pour lever des fonds, et organise des évènements à travers les États-Unis pour mobiliser l’opinion publique américaine autour du sort des enfants de Syrie. En novembre 2012, alors que la rébellion se renforce face au régime en Syrie, il quitte son emploi pour se consacrer entièrement à la lutte contre le régime de Bachar al-Assad. Rejoignant alors la Coalition nationale syrienne, dominée par le parti des Frères musulmans, il prend la tête de la branche chargée de l’assistance humanitaire, basée en Turquie, et presse la communauté internationale d’agir davantage sur le plan humanitaire.
Il n’est d’ailleurs pas le seul de sa famille à tout quitter pour voler au secours de sa terre natale : son fils Obaida, l'aîné de ses quatre enfants, a décidé l’an dernier de rejoindre les rebelles syriens. Ancien joueur de football américain, Obaida apporte à la rébellion une assistance en matière de communication.
"Le candidat des Frères"
Pour Fabrice Balanche, chercheur spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la méditerranée et le Moyen-Orient, Hitto est "le candidat des Frères musulmans". Il présente un "double avantage" selon le spécialiste : "c’est un Frère donc il plaît à la Turquie et au Qatar, et c’est un Américain, ce qui lui assure l’approbation des États-Unis".
Sous ces dehors modernes, Ghassan Hitto serait ainsi "au mieux ultra-conservateur". Il a en effet dirigé la Brighter Horizons Academy, une école islamiste au Texas. "On ne devient pas directeur d’un tel établissement par hasard", observe Fabrice Balanche. Dans ses discours, l’homme à la moustache grise, souvent vêtu de manière décontractée, n’hésite pas à faire référence à Dieu. Une tonalité à laquelle les Américains sont eux-mêmes familiers. "Dieu nous aime et prendra soin de nous (...) Il apportera les secours, Il prendra soin du peuple de Syrie, Il nourrira et défendra le peuple syrien. Lui seul peut le faire mais nous devons agir aujourd'hui", déclarait-il ainsi l’an dernier lors d’une réunion qu’il avait organisée au Texas au profit de la Syrie.
Néanmoins, le fait d'avoir vécu une grande partie de sa vie aux États-Unis rassure les Occidentaux. De surcroît, selon Fabrice Balanche, ces derniers, et notamment les Américains, sont enclins à miser sur les Frères musulmans pour ce qui est de l’opposition syrienne, "car c’est le parti d’opposition le mieux organisé et donc le plus à même de présenter une alternative au régime en place. Et avec l’élection de Ghassan Hitto, les Frères musulmans syriens assoient encore plus leur influence sur l’opposition syrienne".
Une alternative au régime en place ?
Car c’est bien ce que souhaite la communauté internationale : constituer un gouvernement provisoire, qui, basé en zone dite libérée en Syrie, centraliserait l’aide aux rebelles. Mais la tâche pourrait s’avérer des plus ardues, quand on connaît la diversité qui caractérise les rebelles armés en Syrie. "Les forces rebelles armées sont composées de différentes factions, certaines frèristes [affiliées aux Frères musulmans], d’autres salafistes. Toutes ne prêtent pas allégeance aux mêmes personnes, et ne reçoivent pas de financement des mêmes sources", explique Fabrice Balanche. Il précise notamment que le Qatar soutient financièrement les Frères musulmans, tandis que l’Arabie saoudite finance les salafistes, qui constitueraient plusieurs dizaines de milliers de combattants.
"Les salafistes vont-ils accepter de se voir imposer un gouvernement dominé par les Frères ?", s’interroge le chercheur. Rien n’est moins sûr, tant l’unification des forces rebelles armées semble difficile.