En cette journée de la femme, FRANCE 24 a décidé d'aborder la place de la femme dans le sport français. Pour ce faire nous avons interviewé Audrey Keysers, co-auteure de l’ouvrage "Football féminin, la femme est l’avenir du foot".
Alors que les footballeuses françaises engrangent de bons résultats dans les compétitions internationales, l’engouement du public et des médias n’est pas à la hauteur de ces performances. Selon Audrey Keysers, membre du Conseil national du Parti socialiste (PS) et co-auteure de l’ouvrage "Football féminin, la femme est l’avenir du foot", ce décalage dérive notamment de la faible représentation des femmes sportives dans les instances dirigeantes et de préjugés persistants sur l'image de la femme dans le sport. Entretien.
FRANCE 24 : Quel a été le constat que vous avez fait avant de rédiger cet ouvrage ?
Audrey Keysers : Malgré les très bons résultats de l’équipe de France féminine et de l’équipe de Lyon notamment en Ligue des champions, les joueuses n’étaient pas suffisamment médiatisées. Elles étaient en manque de visibilité que ce soit dans la presse ou à la télévision. Le sport collectif masculin est davantage mis en avant que le sport collectif féminin. Les femmes sont condamnées à réussir dans le sport pour que l’on parle d’elles.
Moins on fait de publicité, de communication autour des matches de football féminin, moins il y aura de monde au stade ! C’est toujours le même problème. C’est le serpent qui se mort la queue. Il y a de l’amélioration grâce aux très bons résultats qu’elles ont depuis deux ou trois ans, mais cela reste insuffisant.
On voulait donc rappeler qu’il y a de nombreuses bonnes équipes en D1 et bien souvent celles-ci sont rattachées à des équipes masculines (OL, PSG). Et justement, les clubs de 1ère division devraient donner plus de moyens à leurs équipes féminines.
Justement, quelle est la situation actuellement ?
Malheureusement, il n’y a pas de situation uniforme. Le bon exemple, c’est l’Olympique Lyonnais. À un moment, très pragmatiquement, les dirigeants ont décidé de développer l’équipe féminine car c’était finalement peu d’investissements pour une très bonne image. Ils avaient déjà toutes les infrastructures, tous les équipements utilisés par les hommes. Il ne restait donc plus qu’à salarier les joueuses pour qu’elles vivent à temps plein du foot et qu’elles puissent se consacrer totalement à viser l’excellence. Preuve que cela fonctionne, c’est actuellement la meilleure équipe ! C’est le club qui investit le plus sur le football féminin.
À côté de cela, coexistent des réalités très disparates. C’est le cas notamment au Paris Saint-Germain où l’on va avoir un certain nombre de filles salariées qui vivent à temps plein du football et d’autres qui ont simplement quelques indemnités et qui doivent faire coexister leur pratique avec un travail à temps plein. C’est exactement la même situation à Montpellier et à Saint-Etienne.
La première injustice c’est celle-là ! Ce n’est pas acceptable en D1. C’est pour cela que nous avons fait ce livre.
Et depuis sa sortie en juin 2012, avez-vous perçu des évolutions ? Qu’en est-il au niveau de la Fédération française de football (FFF) ?
À la FFF, il y a un plan de féminisation pour faire vivre le football féminin à tous les niveaux. C’est très bien. Ce qui va également dans le bon sens, c’est que les dirigeants ont fait "monter" des femmes.
À ce titre, la secrétaire générale de la FFF et la personne qui s’occupe du football féminin sont des femmes. C’est un signe fort de la fédération que de leur attribuer de hauts niveaux de responsabilités. Mais si vous prenez les autres fédérations sportives, c’est la bérézina !
Vous n’avez aujourd’hui aucune fédération sportive dont la présidente est une femme ! Cette année, il y a les élections dans toutes les fédérations, il y en a environ 80, et les femmes se retrouvent toujours à des rôles "traditionnels" de femmes comme trésorière notamment.
On était exactement dans la même situation dans le monde politique avant que l’on impose la parité. Ce n’est pas beaucoup mieux maintenant, mais on peut dire que la parité a œuvré dans un sens de promotion et de reconnaissance.
Et imposer cette parité dans les instances sportives, est-ce selon vous une voie à suivre ?
L’imposer, je ne sais pas. En tout état de cause, dans le monde de l’entreprise, il doit y avoir 40% de femmes dans les conseils d’administration [loi promulguée le 27 janvier 2011. Sont concernés les conseils d’administration et les conseils de surveillance des entreprises cotées en bourse et des entreprises publiques ndlr.].
Maintenant je pense qu’il faut se fixer des objectifs clairs et procéder par étapes en suivant le monde politique et celui de l’entreprise en instaurant la parité dans les instances. Mais l’enjeu ne se situe pas seulement à ce niveau. Quand on prend l’exemple très symbolique de l’arbitrage, on se rend compte que l’on n’a quasiment aucune arbitre femme.
On est dans un pays où l’on considère qu’à la limite une femme peut arbitrer des femmes mais certainement pas des hommes. Alors que cela ne choque personne que des matches féminins soient arbitrés par des hommes !
Ce sont des préjugés qui durent…
Comme celui de dire que le football est un sport de garçon ! Comme si les filles étaient plus fragiles… On va donc les orienter vers des sports d’intérieurs dits "doux" comme la danse, la natation… Il y a vraiment beaucoup de préjugés là-dessus avec également la lesbophobie. Les gens se disent que les filles qui font du foot sont des lesbiennes ! C’est quelque chose qui a la dent dure.
Le sport collectif féminin pâtit de préjugés, mais je pense aussi que l’absence de femmes à tous les niveaux de la hiérarchie dans le sport ne favorise pas le développement.
Qu’est ce qui vous a alors amené à titrer sur "la femme est l’avenir du foot" ?
C’est tout d’abord un clin d’œil à "la femme est l’avenir de l’homme" [maxime du poète Louis Aragon ndlr]. On a commencé à parler du football féminin en 2010, lorsque l’équipe masculine véhiculait une image très négative avec les dérives de joueurs en général très jeunes, qui brassent beaucoup d’argent et qui sortent en boîte de nuit avec des filles qui ressemblent à des bimbos.
L’équipe féminine a bénéficié par ce biais là d’une certaine couverture médiatique qui consistait à dire que les joueuses incarnaient une sorte de fraîcheur dans ce monde du football puisqu’elles avaient une passion totalement désintéressée pour leur sport. Elles ne gagnaient rien ou quasiment rien comparé aux hommes.
Elles ont aussi bénéficié d’une image de filles extrêmement discrètes et modestes. Il y a une vraie proximité entre elles et le public, une vraie gentillesse.
Il faudrait donc peut être revenir à un certains nombres de valeurs dans ce monde du football, des valeurs portées par le football féminin.