La relation entre le président des États-Unis et les reporters accrédités à la Maison Blanche n’est pas aussi idyllique que l’on pourrait le croire. Obama préfère les esquiver pour se forger sa propre image en utilisant les nouveaux médias.
“Vous [journalistes] m’avez, pour la plupart, suivi. Vous avez tous voté pour moi". C’est sur un ton pince-sans-rire que Barack Obama s’est adressé, lors du dîner annuel de 2009, aux correspondants accrédités à la Maison Blanche pour évoquer la fascination de la presse américaine envers le nouveau président.
Aujourd’hui, le charme entre les journalistes accrédités et le président des États-Unis semble rompu, à en croire une analyse publiée le 18 février sur le site d’information Politico, intitulé "Obama ou l’art de manipuler la presse". Dans l’article, quelques reporters – qu’ils soient correspondants à la Maison Blanche ou qu'ils suivent le président dans ses déplacements – ont voulu tordre le cou aux propos d’Obama, qui affirme haut et fort, que son administration est "la plus transparente de l’histoire". Le manque de "disponibilité" du président envers les journalistes est "honteux", déplore notamment Ann Compton, une consœur de la chaîne américaine ABC .
Leur frustration a éclaté au grand jour il y a quelques semaines, quand ils se sont vu refuser l’accès à la session de golf que Barack Obama a eue avec Tiger Woods. Traditionnellement, ils sont autorisés à poser des questions au président au début et à la fin de ce genre d’évènement.
Nombre d’entre eux se sont plaints “de n’avoir eu absolument aucun contact avec le président des États-Unis de tout le week-end", a relaté le président de l’association des correspondants de la Maison Blanche, Ed Henry, de Fox News, dans une déclaration le dimanche 18 février.
Du côté du palais présidentiel, on se défend de restreindre tout accès aux médias. Lors d’un point presse hebdomadaire le 19 février, le premier secrétaire de Barack Obama, Jay Carney, a tenu à rappeler "l’effort de l’administration" pour "s’assurer que le président réponde aux questions de la presse". Et d’ajouter que le président était “sensible …au désir des journalistes d’avoir de plus en plus de contacts avec lui ”.
"Obama ne se soucie guère de satisfaire les journalistes"
Mais cette tension ne date pas d'aujourd'hui. Avant son investiture de 2009, Obama avait déjà refusé de se prêter au traditionnel entretien avec les journalistes du "New York Times". Il a, depuis, continué d’esquiver les reporters les plus chevronnés, y compris ceux du "Washington Post" et du "Wall Street Journal". Le "New York Times" n’a, quant à lui, pas décroché d’entretien depuis près de trois ans. "Obama se soucie guère de satisfaire les journalistes", observe Stephen Hess, politologue de la Brookings Institution et auteur de plusieurs ouvrages sur la présidence et les medias.
Pourtant, personne ne peut lui reprocher de refuser les interviews : il en a accordé 674 durant son premier mandat, contre 217 pour son prédécesseur George W. Bush. Le fait est qu’elles sont triées sur le volet : soit parce qu’elles se déroulent dans un cadre "convivial", comme l’émission de télévision populaire “The View”, soit parce que les journalistes sont moins tenaces, comme Steve Croft du programme "60 minutes".
Contrairement aux précédents présidents, Obama n’offre pas aux journalistes de moments impromptus et intimes, au cours desquels ils peuvent glaner quelques informations sur des sujets d’actualité, regrette Peter Baker du "New York Times", accrédité à la Maison Blanche à l’époque de Clinton, de Bush et d’Obama. “Le président actuel a un tempérament moins ouvert et extraverti que ses prédécesseurs”, analyse-t-il. Les reporters doivent donc se contenter du point presse hebdomadaire, et plus rarement, du point presse avec le président lui-même. “Aucun rédacteur n’aime qu’on lui mâche le travail”, poursuit-il.
"Éviter un traitement médiatique peu flatteur"
Sans compter que l’administration n’hésite pas à manifester son mécontentement si les articles ne conviennent pas, affirme Peter Baker. “Dans ce cas, on a un retour très rapide et très caustique”, précise-t-il à FRANCE 24. Il évoque “beaucoup d’échanges désagréables avec la Maison Blanche”.
Méfiant à l'égard des journalistes, le président préfère les contourner et se forger sa propre image. Pour cela, l’administration s’appuie sur les nouveaux médias, tels que Twitter, Facebook et YouTube pour publier des photos du président, poster des blogs, sur des enjeux politiques, et des vidéos qui montrent le personnel de la Maison Blanche en plein travail. Le tout en prenant soin de n’envoyer ce contenu à la presse que dans un second temps. “Tous les moyens sont bons pour éviter un traitement médiatique peu flatteur ”, note Stephen Hess.
Un nouveau style de communication dont Obama ne se cache pas. “L’erreur de mon premier mandat a été de croire que cette fonction consistait juste à appliquer les bonnes politiques’, a-t-il déclaré dans une interview en juillet à CBS. “Mais la nature de ce poste est aussi de raconter l’histoire au peuple américain”.
Pour de nombreux correspondants de la Maison Blanche, dont Peter Baker, le président et la presse seraient les deux perdants de cette nouvelle stratégie. “C’est dans l’intérêt du président d’être compris par les journalistes qui parlent chaque jour de lui ”, estime-t-il. “Mon travail est que le public sache ce qui se passe à la Maison Blanche et comprenne les décisions prises. Et dans cette configuration, c’est difficile de savoir ce qui motive vraiment Obama à faire tel ou tel choix”.