
La découverte de viande de cheval dans des lasagnes vendues par Findus révèle tout le flou qui entoure la production des plats cuisinés. L’enquête doit encore déterminer à quel niveau il y a eu tromperie sur la marchandise.
Il n’y a certes pas de danger sanitaire, comme le martèle un porte-parole de la Commission européenne. Mais le dysfonctionnement aurait pu révéler un problème beaucoup plus grave, note Jacques La Cacheux, économiste à l’OFCE, spécialiste de l’agriculture. La découverte de viande de cheval dans des lasagnes estampillées "viande de bœuf" par Findus crée l’émoi dans la filière bovine et chez les consommateurs. Les grandes et moyennes surfaces, par précaution, ont décidé de retirer de leurs rayons les plats cuisinés incriminés.
Le ministre délégué à la consommation, Benoît Hamon, a indiqué à l'issue d'une réunion de crise à Bercy le 11 février qu'il n'était pas possible de déterminer pour l'instant s'il s'agissait d'une "négligence" ou d'une "fraude délibérée", et qu'on en saurait plus dans les "48 heures". Des agents de la Direction de la répression des fraudes (DGCCRF), ont effectué des inspections sur plusieurs sites de production industrielle en France, lundi.
Le scandale a prospéré sur le flou qui entoure la vente de viande de cheval à destination de l’industrie agroalimentaire. Dès lors que la viande est un ingrédient parmi d’autres dans un plat cuisiné, les consommateurs n’ont pas accès aux mêmes informations qui lui sont fournies pour la viande fraîche - alors même que les industries les ont, ces informations, mais ne sont pas tenues de les communiquer.
Absence d’informations sur la filière chevaline
"90 % des animaux abattus et commercialisés en France sont vendus comme de la viande fraîche dans les boucheries et les grandes surface et suivent un circuit très balisé depuis la crise de la vache folle dans les années 1990. Les plats cuisinés utilisent les 10 % restants - les embouts d’un morceau, ce qu’on appelle le minerai, qui se vend par sac plastiques de 10 kilos - qui sont congelés, mis dans des cartons, et revendus à l’industrie agro-alimentaire", explique René Laporte, auteur de "La viande voit rouge" (éditions Fayard, 2012).
Mais, poursuit ce spécialiste, autant le minerai de bœuf a le même statut que la viande fraîche et respecte quasiment les mêmes règles de traçabilité – abattoir, salle de découpe, animal de provenance - autant le minerai de viande de cheval nage dans un vide juridique : "Seules deux informations sont fournies pour le cheval : le pays d’origine et la catégorie du produit, c’est tout".
"La viande de bœuf a bénéficié des effets de la crise de la vache folle, dans les années 1990. En revanche, le manque de traçabilité est criant pour la volaille, le porc et le cheval", confirme Jacques Le Cacheux.
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"Qu’importe la provenance, du moment qu’on s’approvisionne au plus bas prix"
En l’occurrence, dans le scandale des lasagnes, l’enquête, encore en cours, doit déterminer à quel niveau de la chaîne il y a eu tromperie sur la marchandise, voire fraude : au niveau du producteur de viande situé en Roumanie, ce que le Premier ministre roumain Victor Ponta réfute ; lors de la vente du produit par différents intermédiaires financiers, ce que René Laporte juge peu probable ; ou encore, chez les deux transformateurs du produit : Spanghero, dans l’Aude et Comigel, en Moselle. Au bout de la chaîne, c’est la marque Findus qui voit sa notoriété chuter.
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"Au cours des dernières années, dans la filière viande comme dans beaucoup de filières alimentaires, l’approvisionnement s'est articulé autour d’une chaîne très complexe, alliant marchés internationaux de matière première alimentaire et une cascade d’intermédiaires plus ou moins opaques. À chaque étape, il peut y avoir des défaillances, explique Jacques le Cacheux. Ce système met à mal la notion même de traçabilité : qu’importe la provenance, du moment qu’on s’approvisionne au plus bas prix."
Il fut un temps où on faisait confiance à la marque pour qu’elle exerce la vigilance nécessaire. "Or les marques ne sont que des sigles apposés sur des produits fabriqués par des sous-traitants qui confectionnent, en usine, des plats cuisinés pour d’autres marques, rappelle Jacques Le Cacheux. Une marque comme Findus fixe un cahier des charges aux fournisseurs, elle se repose sur eux pour exercer le contrôle qualité, et ceux-ci ne l’exercent réellement que de manière intermittente."
Dans l’embarras, Findus a déposé une plainte contre X et s’est interrogé publiquement : "Comment est-il possible qu'en 2013 un transformateur de viande du Sud-Ouest ait pu commercialiser de la viande de cheval avec une estampille vétérinaire française ‘viande de bœuf’?" Pour autant, Findus ne devrait pas se laver les mains de cette affaire, réplique René Laporte : "C’est le B.A.BA de contrôler ce qui est produit. Quand je reçois 20 tonnes de viande, je ne paie pas les yeux fermés. Il y a eu un manquement aux règles élémentaires du travail."
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Aubaine pour les éleveurs français
Les éleveurs français profitent de la crise pour faire entendre leur revendication : obliger les plats cuisinés à clarifier, sur l’emballage, le circuit de fabrication. "Il faut que les choses changent. L’enjeu, aujourd’hui, c’est l’exigence de transparence sur tous les produits, y compris transformés. Et surtout l’exigence de la provenance française de la viande !, s’exclame François Thabuis, président de Jeunes Agriculteurs, interrogé par FRANCE 24. Notre métier est souvent bafoué par les intermédiaires. Dans cette affaire, les floués, ce sont bien sûr les consommateurs, mais aussi les producteurs qui ne peuvent même plus savoir où va leur production."
Jugée trop chère par les industriels, la viande française pourrait tirer son épingle du jeu de cette crise et imposer son savoir-faire de qualité. Pour les éleveurs français, la crise tombe à pic.