logo

Quand la Commission européenne s'attaque au foot business

Un rapport de la Commission européenne, publié le 7 février, dénonce l’inflation des indemnités de transfert et la création d'une oligarchie du football en Europe.

Il y a un savoureux mélange de romantisme et d’implacable démonstration économique dans le rapport de la Commission européenne sur les dérives du marché des transferts dans le football (et dans une moindre mesure le basket-ball), publié jeudi 7 février.

“L’évolution du marché des transferts [...] remet en cause la nécessaire incertitude des résultats et c’est donc l’essence même du sport qui est en jeu”, constatent ainsi les auteurs de ce document de 346 pages. Nostalgie, quand tu nous tiens...

Mais cette “Étude relative aux aspects économiques et juridiques des transferts de joueurs” revient vite sur le terrain de la dure réalité économique. Et les chiffres assénés par la Commission européenne sont autant de tacles contre les grands clubs européens, les joueurs stars et leurs agents qui touchent des fortunes.

Depuis l’arrêt Bosman en 1995, qui a posé les jalons du football business en érigeant la libre circulation des joueurs entre les pays de l’Union européenne (UE) en principe de droit, les transferts et les salaires ont explosé. Le rapport chiffre précisément cette évidence : 5 737 joueurs ont été transférés au sein de l’UE en 1995, contre 18 307 en 2011. La valeur de tous ces mouvements de joueurs était de quelque 400 millions d'euros en 1995 et de plus de 3 milliards d'euros en 2011. “Le nombre de transferts a été multiplié par 3,2 tandis que leur valeur a elle été multiplié par 7”, souligne cette étude.

Oligarchie

Une inflation qui peut surprendre en temps de crise quand tout le monde est appelé à se serrer la ceinture. Mais, comme le souligne encore ce rapport, la flambée des prix et des transferts est principalement le fait d’une poignée de clubs. Le système est tel que ce sont eux qui bénéficient de la majorité des revenus des droits télé et de la manne de la Ligue des champions. Ils peuvent ainsi payer à prix d’or les stars qui, en retour, garantissent les succès sportifs.

Ainsi, la Commission européenne remarque que le marché des transferts a transformé le foot européen en oligarchie. Depuis 2001, les trois meilleurs - et plus riches - équipes des neuf principaux championnats ont remporté plus de 80 % des titres nationaux (à l’exception notable de la France où ce pourcentage baisse à 75 %).

Taxe Tobin du ballon rond

Fort de ce constat, l’institution européenne se rêve en Robin des bois du foot européen. Et formule une série de mesures parmi lesquelles la plus notable serait l’instauration de ce que le quotidien français Le Monde appelle une "taxe Tobin du ballon rond". Le rapport préconise, en effet, l’instauration d’une redevance sur les transferts les plus astronomiques dont le montant serait ensuite redistribué aux clubs les moins riches. La Commission européenne cherche aussi à freiner l’inflation des prix en limitant les montants des indemnités de transfert dans certains cas spécifiques.

Elle voudrait aussi protéger davantage les jeunes joueurs en harmonisant, notamment, les règles d’entrée sur le territoire européen de mineurs venus de pays tiers. Enfin, dans un souci de transparence, le rapport propose que les plus grands clubs publient en ligne les détails de tous leurs transferts.

Les joueurs grands gagnants

Un vaste programme qui, malgré de bonnes intentions, laisse certains spécialistes de marbre. “On a l’impression que la Commission européenne vient de se rendre compte que l’économie de marché sans régulation aucune creuse les écarts entre les acteurs et favorise les plus forts”, s’amuse Christophe Durand, économiste du sport à l’Université Caen Basse-Normandie.

Mais pour ce spécialiste, cette évolution a eu des effets bénéfiques pour la plupart des footballeurs. “Les joueurs, et pas seulement les stars, sont les grands gagnants de cette situation”, affirme-t-il. L’inflation des indemnités de transfert et des salaires fait qu’aujourd’hui “la rémunération de joueurs de National en France [3e division] a de quoi faire pâlir d’envie certains qui évoluent en Pro A de Basket”, note-t-il.

Si le foot business n’est clairement pas perdu pour tout le monde, l'économiste reconnaît qu’il faut chercher à en limiter les dérives. Mais la Commission européenne n’a, à son avis, “aujourd’hui ni la légitimité politique, ni la légitimité juridique” pour ce faire. “Cela fait 20 ans qu’elle essaie de s’attaquer au marché des transferts sans véritable succès”, rappelle Christophe Durand.

"Trading joueurs"

L’idée d’une taxe Tobin dans le foot peut, ainsi, paraître séduisante, mais Christophe Durand craint qu’elle soit difficile à mettre en œuvre dans le foot moderne et qu'elle rencontre une forte opposition de la part des grands clubs. “Il serait plus efficace que l’UEFA revoie le système d’attribution de l’argent en Ligue de champions pour assurer plus de solidarité entre les clubs”, note-t-il.

Plus généralement, le milieu aurait, selon lui, davantage à gagner si des syndicats de joueurs et les instances se mettaient à la table des négociations en vue d'un meilleur "partage du butin”. C’est pour lui une question de légitimité. "C’est ainsi qu’aux États-Unis des sports comme le basket et le football américain ont pu se réguler pour éviter que de trop gros écarts se creusent entre les clubs”, rappelle l'économiste.

Pour autant, Christophe convient que certaines dérives doivent faire l’objet d’une attention d’institutions comme la Commission européenne. Il en irait ainsi du “trading joueur”, d’ailleurs évoqué par le rapport. Il s’agit d’une pratique importée d’Amérique du Sud et qui commence à pointer le bout de son nez en Europe. “Le joueur signe un contrat avec un tiers, comme un fonds d’investissement qui, ensuite, le met à la disposition d’un club”, explique Christophe Durand. Le joueur se transforme ainsi en véritable “actif sur lequel les investisseurs spéculent de transfert en transfert”, souligne cet expert. Des pratiques qui engendrent des “montages financiers souvent opaques et à la limite de la légalité qu’il faut encadrer et contrôler”, d’après cet expert.