
L’avocat et leader de l’opposition laïque, Chokri Belaïd assassiné mercredi matin à Tunis, menait une croisade contre le projet politique et sociétal des islamistes.
Il était l'un des poils à gratter du pouvoir. Chokri Belaïd, chef du Parti des patriotes démocrates, assassiné mercredi matin alors qu’il montait dans sa voiture pour aller travailler, était devenu la figure de proue de l’opposition aux islamistes d’Ennahda.
"C’est un homme qui était connu pour ses positions en faveur d'une Tunisie laïque. Il voulait séculariser la religion et l’éloigner du champs politique", souligne Hichem Ben Yaïche, rédacteur en chef du magazine l’Afrique sur FRANCE 24.
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Cet homme de conviction de 48 ans, fervent défenseur des valeurs démocratiques, s’était fait un nom dans le paysage politique bien avant la révolution de 2011. Avocat de profession, ses prises de position l'ont conduit dans les geôles tunisiennes sous les régimes de Habib Bourguiba et de son successeur, Zine el-Abidine Ben Ali. Il s’est d'ailleurs illustré lors des nombreux procès d’opinion sous la dictature du président chassé du pouvoir par la révolution de Jasmin, le 14 janvier 2011.
"Il était sur une liste"
Secrétaire général du Parti des patriotes démocrates, l'opposant avait rejoint avec sa formation une coalition de gauche, le Front populaire, créée en octobre 2011, qui se pose en alternative au pouvoir en place. Très présent dans les médias après l’échec de sa formation aux élections législatives d’octobre 2011, Chokri Belaïd n’a eu de cesse de s’élever contre la mainmise des islamistes sur les structures de l’État. Il dénonçait également les dysfonctionnements et les dérives de la justice tout en alertant l’opinion sur les dangers de la violence politique.
Pourfendeur du projet politique et sociétal des islamistes, sa popularité grandissante a attisé la haine des radicaux. "Il recevait des menaces comme beaucoup de personnalités tunisiennes de l’opposition, notamment d’extrême gauche, sur Internet et sur Facebook", a rappelé David Thomson, correspondant de FRANCE 24 en Tunisie.
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"Il était sur une liste", a affirmé Alaa Talbi, l’un de ses amis proches sur FRANCE 24. "Hier, invité sur un plateau de télévision en Tunisie, il a dit qu’il y avait un plan d’exécution avec des noms répartis sur plusieurs villes".
Maintes fois pris à partie
Depuis quelques mois, les réunions de son parti étaient d’ailleurs souvent chahutées par des salafistes ou des milices. La veille de son assassinat, mardi 5 février, il dénonçait encore sur un plateau de télévision "la stratégie méthodique d'explosion de violence à chaque crise au sein du mouvement Ennahda".
Quelques jours plus tôt, il avait également accusé les "milices" du parti, les Ligues de protection de la révolution (LPR) d'être à l'origine de plusieurs agressions contre les rassemblements organisés par des partis d'opposition.
Dernier incident en date, samedi 2 février lors d’un meeting du Parti des patriotes démocrates unifié organisé au Kef. "Des barbus ont investi la salle de réunion. Ils ont eu à faire aux jeunes du parti qui les ont chassés de la maison de la culture, les agresseurs ont jeté des pierres et brisé la devanture de la maison de la culture. Certains militants ont été blessés", racontait-il dans une interview accordée au quotidien tunisien indépendant Le Temps.
Pour Chokri Belaïd, la violence était une véritable stratégie politique d’Ennahda. "Chaque fois que la Troïka rencontre des problèmes, un signal est donné pour perpétrer des actes de violence. Chaque fois que des décisions non populaires sont prises, ou des augmentations de prix sont arrêtées, ou un projet de loi injuste est avancé, la violence surgit. La nouveauté aujourd’hui concerne les luttes intestines qui rongent les structures d’Ennahdha", affirmait-il encore au Temps.
Le 31 décembre, Chokri Belaïd avait eu cette déclaration prophétique : "s'il m'arrive quoi que ce soit, c'est le ministère de l'Intérieur qui en sera responsable. Car, c'est à lui de protéger les citoyens, moi ou les autres".