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Assad forme une nouvelle force paramilitaire pour seconder l’armée

Le régime syrien a annoncé la formation d’une nouvelle force paramilitaire, chargée de défendre les quartiers pro-régimes contre les incursions rebelles. Aveu de faiblesse ou nouvelle stratégie du régime. Décryptage.

La nouvelle n’a pas fait grand bruit, et pourtant, le président syrien Bachar al-Assad a annoncé en fin de semaine dernière la création d’une force paramilitaire pour seconder l’armée dans sa lutte contre les rebelles. Le régime baasiste fait face à un conflit ouvert avec une opposition armée qui a fait plus de 60 000 morts en 22 mois.

Sous le nom de Forces de défense nationale, cette nouvelle formation regrouperait les divers Comités populaires, des civils favorables au régime qui ont pris les armes pour défendre leurs quartiers contre l’incursion de rebelles.

Le régime veut "libérer ses troupes en vue d’une éventuelle offensive au printemps"

Contacté par FRANCE 24, Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), soutient qu’il s’agit de bien plus que cela. "Il y avait en effet des comités de citoyens qui avaient pris les armes pour défendre leur quartier, mais là il s’agit d’un nouveau groupe de combattants récemment recrutés, organisés et officiellement armés", explique le directeur de l’ONG qui s’appuie sur un large réseau de militants sur place. Plus encore, il affirme que "des forces iraniennes ont joué un rôle dans l’entraînement de ces nouvelles brigades". D’après les informations qu’il a recueillies, "ces Forces de défense nationale ont été entraînées depuis plusieurs mois et représentent environ 50 000 combattants à l’heure actuelle".

D’abord présentes à Homs, ces forces sont désormais opérationnelles dans toutes les villes du pays. D’après Rami Abdel Rahmane, le régime les a instaurées pour qu’elles complètent l’action de l’armée régulière. "L’armée ne parvient pas à contrer les rebelles sur tout le territoires. Il y a une infinité de fronts ouverts", relève-t-il. La nature même des combats est à prendre en compte. "Ces unités ont été particulièrement formées à la guérilla, car l’armée syrienne n’y est pas habituée", poursuit-il.

Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO), voit là "une étape de la stratégie de contre-offensive du régime syrien". Il fait remarquer que les rebelles semblent en effet marquer le pas ces derniers mois en raison notamment de l’hiver, mais "ils reviendront nécessairement à l’offensive au printemps, début avril probablement". "En désengageant ses troupes en partie des quartiers, le régime les libère en vue des combats à venir", analyse-t-il, lors d’un entretien téléphonique avec FRANCE 24.

Des femmes parmi les combattants

Fait nouveau par ailleurs, Rami Abdel Rahmane explique que des femmes figurent au nombre des combattants. "Il y a désormais des combattantes des deux côtés, celui des rebelles et celui du régime", affirme-t-il. La première unité féminine des Forces de défense nationale opérationnelle à Homs compte ainsi 450 combattantes, âgés de 18 à 50 ans selon l’AFP. L'engagement dans cette nouvelle formation est volontaire et bénévole, les rondes de surveillance se font sur deux horaires pour permettre aux femmes de continuer à travailler: de 08h00 à 12h00 ou de 12h00 à 16h00.

"L'entraînement comprend le tir à la kalachnikov, à la mitrailleuse BKC, le maniement des grenades, l'attaque des barrages adverses et le contrôle de nos propres barrages, les perquisitions et des cours de tactique militaire", a expliqué à l’AFP la commandante Jahjah, retraitée de l’armée syrienne devenue formatrice de ces brigades féminines.

Une "alaouisation" des forces loyalistes ?

Baptisée "capitale de la révolution" par les rebelles, la ville de Homs représente un cas particulier. Elle a été la première à verser dans la lutte armée avant que les soldats n'en reprennent en très grande partie le contrôle. Mais c'est aussi dans cette agglomération de 1,5 million d'habitants où cohabitent sunnites, chrétiens et alaouites, que les violences confessionnelles ont le plus souvent été observées. Même s’il serait erroné de généraliser, une communautarisation du conflit aurait par endroits été observée. Les sunnites, qui représentent 80% de la population, soutiendraient en majorité la révolte, alors que les minorités, alaouites, chrétiens et druzes, se serait eux rangés du côté du régime ou du moins tenteraient d’observer une certaine neutralité.

On pourrait donc supposer que ces "milices" de défense des quartiers sont en majorité composées de Syriens issus de minorités religieuses. Interrogé sur l’antenne de RFI, David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), livre une analyse qui va en ce sens. "La majorité de l’armée syrienne est composée de sunnites", rappelle t-il. "Le noyau dur sur lequel le régime peut s’appuyer de façon sûre ne représente donc que 30 000 à 40 000 hommes et sont des forces issues de la 4e division ou de la garde républicaine". Insuffisant, selon le chercheur qui voit dans cette initiative du régime le signe d’une "alaouisation accélérée des forces dites loyalistes pour conserver un certains nombre de territoires".

Une thèse que réfute fermement Rami Abdel Rahmane. Selon lui, le poids des défections est surestimé. "Les défections n’ont pas pesé sur l’armée syrienne : la majorité des combattants rebelles n’est pas formé de militaires défectionnaires mais de civils ayant pris les armes", souligne-t-il. Il insiste ensuite sur la mixité confessionnelle de la force paramilitaire. "Ces nouvelles forces sont formées de personnes de toutes confessions", affirme-t-il. "Ce sont simplement des personnes qui soutiennent le régime et contrairement à ce que l’on pense, il y en a de toutes les communautés", poursuit-il, précisant que le parti Baas au pouvoir en a chapeauté la mise en place.

Fabrice Balanche le rejoint également sur ce point. S’il est vrai selon lui que les quartiers habités par des minorités sont concernés, ils ne sont pas les seuls. "On a eu des informations l’année dernière selon lesquelles le régime avait proposé aux chrétiens notamment de leur donner des armes pour se défendre", rappelle-t-il. Mais le régime compte bien plus que les chrétiens, les alaouites et les druzes parmi ses soutiens. "L’une des raisons pour lesquels le régime tient jusqu’à présent les villes du pays, c’est parce qu’il y possède toute une clientèle de bureaucrates, dont la majorité sont des sunnites", explique le chercheur. Il donne l’exemple notamment d’Idleb toujours contrôlée par le pouvoir, alors qu’elle se situe dans le nord du pays une zone dite libérée par les rebelles.