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Selon l’opposition syrienne, le régime de Bachar al-Assad a fait usage d’armes chimiques non létales contre des populations civiles à Homs le 23 décembre dernier. Une information que Paris et Washington disent ne pas pouvoir confirmer.

La ligne rouge aurait-elle été franchie ? Selon plusieurs sources, le régime syrien aurait fait usage d’armes chimiques non létales contre des populations civiles à Homs le 23 décembre dernier. C’est ce qu’affirment les opposants sur place et notamment le Conseil local révolutionnaire de Homs, dans un rapport dont FRANCE 24 a pu se procurer une copie. Selon le texte, des chars de l’armée du régime auraient en effet bombardé le quartier de Bayyada à Homs les 23 et 24 décembre. Au moins une quinzaine de personnes seraient mortes. Peu après cette attaque, plusieurs dizaines d’habitants de la zone attaquée se seraient plaint de symptômes qui rappellent les effets d’armes chimiques.

Dans son édition du 20 janvier, le quotidien "Le Monde" a fait état de ces informations, citant pour sa part des sources au sein des services de renseignement occidentaux. Selon une des sources citées par l'article intitulé "Alerte à l'arme chimique en Syrie", il s'agit d'une arme chimique incapacitante chargée sur quatre roquettes qui ont été tirées depuis un char.

Le magazine américain "Foreign Policy" évoquait également ces faits la semaine dernière. Il affirme quant à lui que des diplomates américains en poste en Turquie ont enquêté sur des accusations portées contre les troupes pro-Assad et auraient rassemblé des éléments probants concernant l'utilisation d'un gaz mortel.

Les Occidentaux minimisent l’alerte

Selon le magazine, le résultat de ces investigations figure dans un mémo signé par le consul général des États-Unis à Istanbul et envoyé au département d'État à Washington la semaine passée. Mais du côté du département d’État américain, on n’a de cesse de répéter que l’information n’a pas pu être confirmée.

Washington tend donc à minimiser les faits. "Nous avons vérifié les informations obtenues, et n'avons trouvé aucun élément crédible permettant de corroborer ni confirmer que des armes chimiques ont été employées", a ainsi déclaré la porte-parole du département d’État Victoria Nuland, reconnaissant toutefois l’existence du mémo.

Même son de cloche du côté de Paris. "Nous avons vérifié, et de près, ces informations, notamment les vidéos qui ont circulé. Nous ne pouvons pas confirmer l'usage de gaz de combat ou de produits chimiques létaux", a dit le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Philippe Lalliot, cité par "Le Monde".

On se souvient que Washington et Paris, parmi d’autres capitales occidentales, avaient évoqué comme une ligne rouge l’usage d’armes chimiques par Damas. Ils avaient estimé à tour de rôle en août 2012 que ce fait justifierait une intervention directe de leur part.

Pour Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO), cette attitude est compréhensible. "La France est empêtrée dans le conflit malien actuellement et voudrait éviter de devoir intervenir dans le même temps en Syrie", relève-t-il en premier lieu. Il observe ainsi de la part de Paris "une volonté de dédramatiser la question des armes chimiques pour éviter d’être contraint d’intervenir".

Quant à l’administration américaine, selon le chercheur, "elle n’a jamais eu l’intention d’intervenir, surtout après l’Irak et l’Afghanistan". Selon lui, "Washington souhaite dépassionner le dossier syrien, en partie à cause de la gêne causée par la montée en puissance des islamistes au sein de l’opposition".

Doutes et circonspection

Quoi qu’il en soit, les informations parues dans la presse viennent corroborer certains témoignages d’habitants et de médecins de Homs. Dans son rapport, le Conseil révolutionnaire de Homs, un comité d’opposition élu pour gérer les affaires courantes de la ville, cite notamment le témoignage du médecin qui a examiné les patients, Abo Ramez (nom d’emprunt). Il fait état de cas de trouble de la vue allant parfois jusqu’à la cécité, de difficulté à se mouvoir, de nausées, de perte de connaissance et de détresse respiratoire. Faute d’échantillons, aucune analyse n’a pu être réalisée.

Les militants de Homs ont posté des vidéos montrant les victimes des présumées armes chimiques

"Il est tout à fait plausible que l’armée syrienne ait utilisé un gaz toxique à effet incapacitant", estime Fabrice Balanche, rappelant à titre d'exemple que les forces russes avaient usé d’une arme similaire contre les rebelles tchétchènes lors de la prise d’otages de l’opéra de Moscou en 2002.

Olivier Lepick, expert en armes chimiques et biologiques et chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), reste pour sa part sceptique, notamment à cause de la confusion qui émane des témoignages des habitants de Homs. "On dit d’un côté que c’est non létal, mais qu’il y a eu des morts", relève-t-il. "Il pourrait s’agir du BZ, un gaz à effet incapacitant mis au point par l’armée américaine dans les années 1950-1960, mais rien n’indiquait jusqu’à présent que l’armée syrienne en possédait", avance-t-il.

Même s’il ne veut "écarter aucune hypothèse", il "doute qu’il s’agisse d’une arme chimique". Selon lui, "les symptômes présentés par les vidéos amateurs qui ont circulé ne sont pas ceux qui sont dus à une arme incapacitante ou même neuro-biologique".

Pour conclure, l’expert invite à aborder ce type d’information avec prudence. "Le dossier syrien est extrêmement complexe : il y a trop d’enjeux de part et d’autre et donc trop de risques de manipulation".