Les populations autochtones du Canada ont entamé une contestation d’ampleur contre un projet de loi du gouvernement conservateur. Une chef amérindienne, Theresa Spence, qui a entamé une grève de la faim il y a un mois, en est devenue l’icône.
Depuis quatre semaines, les repas de Theresa Spence se limitent à un bouillon de poisson ou une infusion de plantes médicinales. La chef améridienne de la tribu des Attawapiskat, dont le territoire est isolé dans le nord de l’État de l’Ontario, est en grève de la faim depuis le 10 décembre. Installée dans un tipi face au Parlement canadien à Ottawa, elle proteste contre les conditions de vie des autochtones, particulièrement exposés aux problèmes de logement, de chômage et de santé publique.
Les populations autochtones du Canada, ou "Premières nations", désignent les 1, 2 million d'Amérindiens, d'Inuits et de Métis canadiens, répartis au sein de 615 tribus. Ils vivent principalement dans des réserves. Jamais officiellement vaincus par les Européens, les autochtones sont liés à Ottawa par des traités signés d'égal à égal avec les colons britanniques au XVIIIe siècle.
Des conditions de vie dignes "du tiers-monde", avait estimé l’hiver dernier le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, James Anaya. À cette époque déjà, Theresa Spence s’était élevée pour dénoncer le manque criant de logements dans sa commune. Elle avait décrété l’état d’urgence sur son territoire, alors que plusieurs dizaines de ses administrés dormaient par un froid polaire sous des tentes ou des habitations de fortune, sans eau courante ni électricité. Une situation qui, selon elle, ne s’est pas améliorée, malgré les moyens débloqués en urgence par l’État fédéral. Et cette année, une goutte a fait déborder le vase : le gouvernement conservateur de Stephen Harper est en passe de faire adopter une série de lois restreignant considérablement, selon ses opposants, la protection des cours d’eaux et des lacs, et amputant les droits des autochtones sur leurs terres.
Menace sur les droits des autochtones
"L’objectif de cette 'loi mammouth' [ainsi surnommée en raison du grand nombre de dispositions qu’elle comporte, ndlr] est de faciliter l’exploitation des sables bitumeux, des gisements d’hydrocarbures dont l’exploitation est extrêmement polluante, sans qu’une opposition n’ait véritablement les moyens de se faire entendre", analyse André Frappier, président et porte-parole du parti politique Québec solidaire, qui soutient le mouvement initié par la chef amérindienne. "Cette loi menace les droits ancestraux des populations autochtones, déjà considérablement défavorisées", ajoute-t-il.
Intolérable aux yeux de Theresa Spence. À sa voix, s’est ajoutée celle du mouvement "Idle no more" (Plus jamais de passivité), regroupant des représentants de plusieurs autres communautés autochtones - Amérindiens, Inuits et Métis du Canada - et de celle de nombreux groupes d’opposition. La contestation a ainsi pris une ampleur inédite dans le pays depuis plus de 20 ans, et gagne chaque jour du terrain : les manifestations se multiplient aux quatre coins du Canada, et des routes, ponts et voies ferrées sont régulièrement bloqués par les manifestants. Depuis quelques jours, le mouvement a commencé à recevoir des appuis de l’étranger, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Nouvelle-Zélande.
"David contre Goliath"
Aujourd’hui, tous les yeux restent braqués sur la fragile petite tente sous laquelle lutte Theresa Spence, résolument plantée face aux députés canadiens. "David contre Goliath", résume Jean-Christophe Laurence, éditorialiste du quotidien "La Presse". Après 28 jours sans nourriture solide, par des températures passant allègrement sous la barre des 0°C, l’état de la quinquagénaire décline. Pour tenter de calmer les esprits, et éviter de se trouver de nouveau confronté à un mouvement social d’ampleur quelques mois seulement après la fin du Printemps érable au Québec, le Premier ministre canadien Stephen Harper, jusqu’alors silencieux, a lâché du lest. Il a annoncé qu’il rencontrerait vendredi 11 janvier une délégation de dirigeants autochtones pour aborder "les relations fondées sur les traités et les droits des peuples autochtones, ainsi que le développement économique".
Le geste est loin de faire céder Theresa Stence. Dans un communiqué, elle a fait savoir qu’elle ne mettrait un terme à sa grève de la faim qu’une fois les résultats de la réunion connus. "Nous verrons s'il y a des résultats positifs, parce qu'il y a un tas de choses dont nous devons discuter", a-t-elle simplement réagi au cours du week-end. Pas question donc de se contenter d’une réunion bâclée et de décisions allégées, ni de regarder impuissamment le gouvernement fédéral faire traîner les débats. Dans son bras de fer avec les autorités canadiennes, la chef des Attawapiskat tient bon. Et agace considérablement Ottawa. Lundi, les autorités ont sorti les armes lourdes en publiant un document qu’elles détenaient depuis le mois de septembre, suggérant des malversations dans l’aide publique perçue par la communauté Attawapiskat.
"Il s’agit d’une tentative pour décrédibiliser le mouvement", a immédiatement dénoncé Theresa Stence par la voix de son porte-parole, Danny Metatawabin. Samedi, sur la chaîne CBC, la chef amérindienne a dénoncé une manœuvre visant à détourner l'attention "des vrais problèmes" qui restent, selon elle, les mauvaises conditions de vie des 1,2 million d'autochtones du Canada. "La situation est préoccupante, a-t-elle poursuivi. Et le gouvernement ne prend pas les préoccupations des peuples autochtones au sérieux."