
Poussés par la situation délicate de leurs économies respectives, les présidents du Soudan et du Soudan du Sud se rencontrent les 4 et 5 janvier en Éthiopie, trois mois après la signature d’un accord sécuritaire et pétrolier resté sans lendemain.
Dans l’impasse depuis des mois, les deux Soudans ont un nouvel espoir de sortie de crise. Le président soudanais, Omar el-Béchir, et son homologue sud-soudanais, Salva Kiir, se sont donné rendez-vous les vendredi 4 et samedi 5 janvier, sous l’égide de l’Union africaine, à Addis Abeba, en Éthiopie, pour tenter de concrétiser les dispositions prises lors de leur dernière entrevue, le 27 septembre dernier.
L’accord signé alors, mais non appliqué, prévoyait la mise en place d’une zone tampon démilitarisée le long de la frontière commune aux deux pays ainsi que la reprise des exportations de pétrole. Depuis la scission des deux pays en juillet 2011, Khartoum est privée de 75 % de ses ressources pétrolières situées au Sud, tandis que Juba est contraint de faire appel aux infrastructures du Nord pour acheminer son brut jusqu'aux terminaux portuaires de la mer Rouge. Faute d’accord sur les prix de transit, le Nord n’avait pas hésité, en janvier 2012, à ponctionner du brut pour se rémunérer. En réponse, le Sud avait brutalement arrêté sa production.
Vendredi, en fin d’après-midi, les deux dirigeants ont, tour à tour, échangé avec les deux médiateurs que sont le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn et l'ex-président sud-africain Thabo Mbeki. Si rien n’a filtré de ces rencontres, Kiir et Béchir doivent encore s’entretenir en tête-à-tête, samedi.
Khartoum face aux conséquences économiques de la scission
"C’est l’économie qui oblige aujourd’hui les deux parties à s’asseoir à la table des négociations. Quasiment dépourvu de ses anciens revenus du pétrole, le Nord est totalement asphyxié économiquement et le jeune Sud, qui ne jouit pas encore d’une économie bien établie, lutte pour obtenir des fonds. Alors, leur stratégie court-termistes qui consistent à se faire la guerre et à créer de l’instabilité à la frontière ne peut pas durer", explique Benjamin Augé, chercheur au programme Afrique de l'Institut français des relations internationales (Ifri).
En d’autres termes, pour les deux Soudans, l’économie est le nerf de l’après-guerre. D’après Benjamin Augé, le Nord n’a pas prévu assez tôt les répercussions de la scission de 2011. "Les leaders du Nord auraient dû mettre en place en amont un mécanisme pour compenser la perte des trois quarts de leurs ressources pétrolières en investissant, notamment, dans l’exploration de nouveaux gisements pétroliers, de minerais, ou muscler l’industrie ; mais ils sont restés beaucoup trop attentistes", explique-t-il. Tandis que les attaques de rebelles armés se multiplient, la grogne monte et la contestation politique s’installe. "L’augmentation des prix conjuguée à une énorme inflation rend le coût de la vie inabordable pour de plus en plus d’habitants", ajoute-t-il.
"À Juba, l’administration est encore balbutiante"
Au Sud, où tout reste à faire, la situation n’est guère plus réjouissante. "Maintenant que la guerre civile est terminée, il reste une population de dix millions de personnes à gérer. Dix millions de personnes aux demandes sociales légitimes qui peuvent désormais demander des comptes à un État, à une nation. Beaucoup de pays ont contribué financièrement ou en terme d’appui technique à la construction de l’administration du Soudan du Sud, particulièrement les États-Unis et la Norvège, mais c’est encore très insuffisant", estime Benjamin Augé.
Sans infrastructures ni administration rodée, le Soudan du Sud, qui produisait 350 000 barils de pétrole par jour avant la scission, semble totalement dépassé. "À Juba, la fonction publique est encore bien loin d’être capable de gérer le pays. Les effectifs au service de l’État sont trop réduits et les fonctionnaires sont loin d’être tous compétents ; la mise à niveau prendra donc de longues années. Certaines personnes formées en Afrique du Sud ou aux États-Unis tendent à revenir au pays mais elles n’accèdent pas forcément aux hautes fonctions. De plus, elles ne sont pas forcément acceptées par ceux qui sont restés pendant la guerre civile", rapporte Benjamin Augé.
Déterminer une frontière précise
Poussés par leur interdépendance économique, les deux voisins n’ont jamais été aussi près de tourner la page du conflit. "Nous retirons temporairement nos forces des zones situées à proximité immédiate de la frontière. Cela permettra de rendre opérationnelle une zone frontalière démilitarisée", a annoncé le président Salva Kiir à l’occasion de ses vœux pour 2013. La zone pourrait malgré tout être surveillée par des soldats des deux pays et par des Casques bleus de l'ONU.
Reste que la rencontre entre les deux présidents à Addis Abeba n’est pas le gage d'un dénouement heureux. "Il y a tellement de méfiance de part et d’autre depuis 50 ans qu’il est extrêmement difficile de savoir si cette réunion du 4 janvier sera le bonne", prévient Benjamin Augé. D’autant plus que la question du pétrole n’est pas le seul point litigieux entre les deux pays. "Il y a encore de nombreuses poches de crispation liées à la géographie. Il leur faut absolument déterminer une frontière nette et définitive et régler le problème des régions contestées comme celle d’Abyei. Le vote pour le rattachement de cette région au Nord ou au Sud était prévu en même temps que la scission mais n’a jamais eu lieu", rappelle-t-il.
Une fois le problème pétrolier résolu et la frontière clairement définie, des relations paisibles entre les deux voisins sont à espérer. Mais les enjeux demeurent nombreux. À commencer par l’épineuse question de la dette dont le Nord, qui en a hérité de l'intégralité lors de la scission, demande une répartition équitable.