
Des avocats de New Delhi, où doit se dérouler le procès des six hommes accusés du viol et du meurtre d’une étudiante, ont fait savoir qu’ils ne défendraient pas les accusés. Le fait divers a provoqué une vague d’indignation en Inde.
"Aucun avocat ne se présentera pour défendre les accusés du viol parce que ce serait immoral de défendre l'affaire." À l’instar de ses 2 500 collègues du barreau du district de Saket, à New Delhi, l’avocat Sanjay Kumar refuse d’assurer la défense des six auteurs présumés du viol et du meurtre le 16 décembre d’une étudiante de 23 ans.
Cinq des six accusés doivent être mis en examen jeudi 3 janvier sur la base d’un rapport accablant de quelque 1 000 pages remis par la police au Parquet. "Beaucoup de choses vont se jouer demain pour les six agresseurs [présumés], explique Grégoire Queinnec, le correspondant de FRANCE 24 en Inde. Des juges vont déterminer la date du procès, qui pourrait se dérouler assez rapidement alors qu’en général les affaires pénales mettent des années avant d’être jugées." Les cinq hommes poursuivis risquent la peine de mort, le sixième, mineur, devrait être jugé par un tribunal pour enfants.
"Un geste symbolique"
"Dans cette affaire, chaque accusé se verra désigné un avocat commis d’office", précise à FRANCE 24 Madan Lal, président du barreau de Saket. "Toute personne, en Inde, a le droit d’avoir une défense, même s’il est indéniablement coupable, même s’il sera sans aucun doute condamné et écopera de la punition la plus sévère. Le geste des avocats [refuser de défendre les accusés, ndlr] est symbolique", poursuit-il.
L’Inde n’a connu qu’un seul précédent d’une telle révolte des avocats. C’était en 2008, au sujet du rescapé du commando islamiste, auteur des attentats de Bombay en novembre de cette année-là. C’est dire si le viol de la jeune femme - son nom n’est pas connu mais elle a été surnommée "Amanat" par la presse ("trésor" en ourdou) - a choqué le pays.
Vague d’indignation en Inde
Le fait divers, particulièrement sordide, a provoqué une gigantesque vague d’indignation en Inde. La jeune femme, violée par six hommes à l’arrière d’un bus, a ensuite été violemment agressée à coups de barre de fer, frappée, puis laissée pour morte sur le bord d’une route avec son compagnon, également rué de coups. Elle a ensuite échappé de peu aux roues du bus avec lequel ses agresseurs ont tenté de l’écraser. Elle est morte de ses blessures le 29 décembre dans un hôpital de Singapour, où elle avait été transférée dans un état critique.
Des manifestations monstres se sont spontanément organisées pour dénoncer les violences faites aux femmes, et le peu d’empressement de la police et de la justice à faire aboutir les affaires de viols et d’agressions sexuelles. Ce fait divers, relaté par la presse du monde entier, a également mis en lumière la piètre condition des femmes dans la plus grande démocratie du monde et provoqué une vaste prise de conscience en Inde. Honey Singh, une star du rap, auteur, entre autres titres douteux, d’une chanson faisant l’apologie du viol, a ainsi été attaqué en justice et a vu ses concerts annulés.
"Ce cas va marquer un virage"
"Je suis sûr à 100 % que ce cas va marquer un virage dans la façon dont le système judiciaire appréhende les accusations de viols et d’agressions sexuelles", estime Madan Lal. Avant de poursuivre : "L’un des gros problèmes, jusqu’à présent, réside dans le fait que dans les rares cas où ces crimes sont jugés, les témoins modifient leurs témoignages pour des raisons sociales [la honte, le déshonneur des familles, ndlr] ou parce qu’ils ont été payés par les agresseurs. Mais l’affaire d’Amanat a été si cruelle et si haineuse, et a tellement focalisé l’attention, qu’à mon avis, tout cela va changer".
Face à la colère de la rue, le gouvernement, par la voix du Premier ministre Manmohan Singh, a demandé une révision de la loi sur les viols et agressions sexuelles, exigeant un durcissement des peines encourues. Le projet de loi discuté fait couler beaucoup d’encre, notamment après la proposition du secrétaire d'État à l’Éducation, Shashi Tharoor, de donner à la future loi le nom de la jeune femme violée et assassinée.
"Sauf objection de la famille, elle devrait être honorée et la révision de la loi anti-viol devrait prendre son nom. Elle est un être humain, elle avait un nom, elle n’est pas juste un symbole", a-t-il justifié sur Twitter. Plusieurs partis s’y opposent, au nom du respect de la vie privée et de l’anonymat de la victime - en Inde, divulguer le nom d’une victime de viol est passible de poursuites pénales. La famille de l'étudiante vient de faire savoir qu'elle ne s'opposerait pas à ce qu'on donne le nom de la jeune femme "devenue une martyre, une icône pour tout le pays", selon Grégoire Queinnec.