
C’est son deuxième tour du monde en solitaire... derrière un micro. Pierre-Louis Castelli, grande voix du journalisme sportif, s’entretient quotidiennement avec les skippers du Vendée Globe. Pour parler de la compétition et aussi d’aventure.
Au PC (poste de commandement) de la course, sous la Tour Montparnasse à Paris, Pierre-Louis Castelli scrute les deux pointages quotidiens. Presque chaque jour, à 13 h, il s'entretient avec quelques uns des skippers lors de "vacations". Un mot venu du monde de la mer qui désigne un rendez-vous radio à heure fixe, entre la terre et un navire. Une "vacation", que l’organisation tente de rebaptiser "Live", à destination du grand public qui se passionne pour la course (le site officiel enregistre 300 000 visiteurs uniques chaque jour).
François Gabart et Armel Le Cléac'h, les deux coleaders, foncent vers le Cap Horn qu'ils devraient doubler le 1er janvier. "Le Vendée Globe c'est l'Everest des mers" affirme le journaliste. Après l’Atlantique et l’océan Indien, les concurrents en finissent avec le Pacifique. Reste à remonter l’Atlantique en déjouant la fatigue (4 à 6 heures de sommeil par jour et jamais d’une seule traite), l’anticyclone de Sainte-Hélène, ou encore un objet flottant au raz des vagues.
"Avoir un rapport humain, affectueux quand c’est dur"
Les vacations radio du Vendée Globe animées par le journaliste virent à de longues conversations amicales pour parler de tout et quelques fois de rien. De la course, du moral, des choses vues et ressenties. Le tutoiement est une évidence.
"Je ne vais pas dormir chez eux, mais je les connais bien. J’en ai vu démarrer certains comme Gabart et Le Cléac’h. Di Benedetto ou De Broc, ce sont des types que je connais depuis 20 ans. (...) Quand tu es en mer, tu as besoin d’entendre des voix familières et je pense qu’ils savent qu’ils ne vont pas être en péril avec nos questions. On ne se la joue pas 'Paris Match' en leur demandant 'comment va ta femme pendant que tu es en mer', c’est pas notre truc".
Pierre-Louis Castelli est un confident qui ne cherche pas l’émotion à tout prix, mais plutôt de beaux récits d’aventure avec en toile de fond les mouettes des Kerguelen et le vacarme de bateaux ultrasophistiqués capables d’avaler plus de 500 milles nautiques (presque 1000 km) en 24 h.
Pas besoin pour lui de trop peaufiner son style. C’est un affectif qui aime les rencontres et qui semble ne pas regretter les stades de foot. "Le foot c’est fascinant parce que tu as le public, l’environnement, le spectacle. Mais avec la voile tu as de l’humain. Le Vendée Globe, en y bossant quotidiennement, tu vois tout, tu vois la tête des gens. Quand ils entendent la voix des marins, ils se mettent à rêver."
Son ton trahi l’admiration, ses questions la simplicité et l’empathie, à mille lieux du journalisme sportif qui décrypte les coulisses financières du monde du football. "C’est la plus belle course du monde, il n’y a rien qui ressemble à ça. On atteint des hauts sommets."
Une affaire de génération
Des deux jeunes coleaders de la course, Armel Le Cléach’ et François Gabart (35 et 29 ans), il raconte qu'ils sont tous deux faits du même bois : hyper préparés et extrêmement rigoureux. Des marins nouvelle génération. Des compétiteurs qui veulent gagner et mériter les investissements consentis par les sponsors. "Ils ne sont pas venus pour faire deuxième. L’aventure pour eux ça passe au second plan. Ils n’ont pas l’humour d’un Jean Le Cam, ni l’amour de l’eau ou des éléments d’un Dominique Wavre ou d’un Bertrand de Broc. C’est pas pour ça que ce ne sont pas des bons marins. Ils sont compét', compét'. Qu’ils soient au large du Brésil ou de l’Antarctique, c’est pareil, ils sont en mer."
Selon Pierre-Louis Castelli, les deux jeunes skippers, séparés par seulement quelques milles depuis l'océan Indien, sont de vrais combattants qui ne veulent rien dire de leurs souffrances ni de la route qu’ils ont choisie de suivre. "Moi, comme j’ai fait de la radio, je reconnais à la voix qu’ils sont un peu tendus comme des arbalètes. Ils ne veulent rien lâcher, 1 mille, c’est 1 mille. Ils vont arriver rincés".
En ce lendemain de Noël, devant un public toujours présent (50 à 100 personnes viennent chaque jour écouter les vacations), c’est Bertrand de Broc qui se confie en direct. Onzième sur treize concurrents, il a légèrement modifié son cap pour pouvoir parler plus tranquillement au journaliste. Aujourd'hui, il n’est pas question de classement, mais plutôt des odeurs en mer. Celle des cargos, que l’on sent sans les voir, ou de la terre qui approche.
Pour cette édition, l’organisation du Vendée Globe a choisi de filmer les vacations quotidiennes, à l’exception de celle du mercredi, qui reste exclusivement radio. Peut-être une volonté de Pierre-Louis Castelli, soucieux de préserver le mystère qui entoure une course où l’Antarctique n’est autre qu’une bouée de régate.
Les skippers n’ont pas forcément besoin de communiquer, mais ils enregistrent de plus en plus de vidéos, envoient des photos et des mails, se pliant parfois à un exercice de communication millimétré. "Maintenant les télés et les radios peuvent faire des directs en visioconférence, c’est extraordinaire mais il ne faut pas que ça dénature la course. Il faut conserver une part de mystère et de magie". Celle qui fait sentir la tempête, l’émerveillement quand un albatros ou un dauphin se met à suivre le navire, ou quand au petit matin le skipper fatigué voit apparaître une île désolée au beau milieu de l’océan.