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Repentance : Alger espère un geste symbolique de la France sur la colonisation

envoyée spéciale en Algérie – François Hollande entame mercredi sa première visite d'État en Algérie. Si une partie des Algériens espère une repentance officielle de la France pour les crimes de la colonisation, d'autres dénoncent une instrumentalisation de la mémoire.

C’est presque devenu un leitmotiv. Cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, le président français, qui entame une visite d’État de deux jours dans le pays mercredi, est très attendu sur la question de la repentance pour la période coloniale. En Algérie pourtant, le sujet est loin de faire l’unanimité.

"C’est un faux problème. C’est un débat qui n’a pas lieu d’être pour la simple et bonne raison que la question coloniale a été réglée en 1962. Il ne reste que du vent, que des groupes extrémistes de part et d’autre de la Méditerranée qui essayent d’instrumentaliser cela à des fins précises", analyse Rachid Tlemçani, politologue et enseignant-chercheur à la faculté de sciences politiques de l'université d’Alger. "C’est une manipulation idéologique", insiste-t-il.

Depuis des mois, la demande de reconnaissance des "crimes coloniaux" est une exigence récurrente des hommes politiques algériens. Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et protection des droits de l’Homme (CNCPPDH), avait jeté un pavé dans la marre après la reconnaissance du 17 octobre 1961. "La colonisation a été un crime massif dont la France doit se repentir si elle envisage d’établir avec l’Algérie, comme l’on est en droit de l’espérer, de véritables relations de qualité à la fois nouvelles et denses, mais délivrées d’un passé tragique à l’occasion duquel le peuple algérien a souffert l’indicible et dont il n’est pas sorti indemne et qu’il ne peut effacer de sa mémoire.” Fin novembre, le ministre des Moudjahidines (Anciens Combattants), Mohamed Cherif-Abbas, a lui-même relancé le débat. "Nous n’avons nullement demandé à la France de nous indemniser mais de reconnaître seulement les crimes qu’elle a perpétrés contre la population algérienne",  a-t-il ainsi déclaré le 27 novembre.

"Un partenariat toujours perfectible"

En France, ces déclarations ont provoqué des réactions pour le moins épidermiques à droite. Après le "Vive l’Algérie française" prononcé par le député-maire de Nice, Christian Estrosi, le 20 octobre, c’est Gérard Longuet, ministre de la Défense du dernier gouvernement Fillon sous Nicolas Sarkozy, qui s’est fendu d’un bras d’honneur en guise de réponse à une question sur la repentance, le 31 octobre.

Mais une semaine avant la visite du président Hollande, les cartes semblent légèrement rebattues. Dans une interview exclusive accordée à l'AFP le 11 décembre, son homologue algérien s’est bien gardé de parler de cette épine dans le pied de la relation franco-algérienne. "Nous devons tirer les enseignements de notre expérience passée pour corriger (...) un partenariat toujours perfectible", a ainsi déclaré le président Abdelaziz Bouteflika.

"Dans cette interview, le président Bouteflika ne parle plus de repentance. Il s’est servi de cette question dans le cadre d’une politique intérieure", analyse, pour sa part, Mohamed Chafik Mesbah, ancien officier supérieur du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), docteur d'État en sciences politiques et diplômé du Royal College of Defence Studies de Londres. "Il voulait rassembler la famille révolutionnaire autour de cet impératif. En réalité, la manière dont on s’y est pris n’est pas la plus heureuse. Il aurait fallu réunir des universitaires et des chercheurs pour apporter des arguments", regrette-t-il. "Les Algériens attendent une repentance sur le plan symbolique. Le pouvoir veut juste susciter le rassemblement de l’opinion publique."

"La France doit demander pardon"

Une stratégie visiblement payante car, dans les rues d’Alger, du plus petit au plus grand, on attend un geste de Paris. "Voilà 50 ans que la France doit demander pardon", affirme ainsi Mohamed, un steward de 25 ans. "Sarkozy ne voulait pas, mais Hollande doit le faire. C’est symbolique." Pour Fatima, étudiante de 24 ans en sciences politiques, il ne s’agit pas "juste" de la guerre d’indépendance. "Il y a eu 132 ans d’occupation, le 8 mai 1945 [le jour de la libération de l’Europe, des manifestations nationalistes à Sétif et à Guelma sont réprimées dans le sang. Selon les historiens, 8 000 à 15 000 Algériens furent tués, NDLR]. La France a fait de belles choses en Algérie mais, aujourd’hui, il y a encore des bombes françaises qui mutilent les enfants." Autre génération, autre vision. "Les Algériens veulent la réconciliation, contrairement à l’État", insiste Kamel, 48 ans. "Le système, aujourd’hui, est fait par des gens de l’ancienne génération qui ont fait le maquis. Ils ne veulent pas juste un pardon, ils attendent aussi des indemnités."

François Hollande demandera-t-il pardon au peuple algérien ? Si le président français a reconnu au nom de la "République", avec "lucidité", la répression "sanglante" du 17 octobre 1961, il a dû affronter une violente polémique à droite. Or, alors qu'il est aujourd’hui affaibli dans les sondages, un acte de contrition officiel de la France pourrait redonner du grain à moudre à l'opposition déjà très critique sur la capacité de la gauche à diriger le pays dans un contexte de crise économique...

"Je ne pense pas qu’il le fera. Il traverse une crise économique assez sérieuse et je pense que, paradoxalement, l’Algérie peut aider la France. Le marché algérien est immense et il y a pas mal de contrats en jeu. La visite de François Hollande est liée à la signature de gros contrats. S’il arrive à repartir avec - et je pense que ce sera le cas - l’Algérie aidera donc la France à sortir de la crise. L’esclave devient le maître, c’est un peu l’ironie de l’histoire", s’amuse Rachid Tlemçani.

"Un grand discours" de Hollande à Tlemcen ?

Reste que François Hollande ne pourra éluder totalement la question. En décembre 2007, lors de sa visite officielle, son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, avait lui-même dû consentir à faire un geste sans pour autant présenter d’excuses officielles ou parler de repentance. Le chef de l’État s’était contenté de reconnaître que le système colonial était "injuste par sa nature" (la guerre d'Algérie a fait plus de 200 000 victimes algériennes, selon les estimations des historiens). Un geste symbolique notable pour celui qui, quelques mois plus tôt, affirmait lors d’un discours de campagne prononcé le 9 mars à Caen que "la France n’avait jamais exterminé de peuple", rappelle le site de la Ligue des droits de l’Homme. Elle n’a pas inventé la solution finale [contrairement à l'Allemagne NDLR], elle n’a pas commis de crime contre l’humanité, ni de génocide", avait déclaré le candidat UMP.

Avant de reprendre l’avion pour Paris, François Hollande fera escale à Tlemcen, ville d’origine de son homologue algérien, dans l’ouest du pays. Le chef de l’État s’exprimera devant les étudiants de l’université Aboubekr-Belkaïd. Quelques jours à peine avant que ne s’achève l’année du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le président Hollande pourrait choisir ce moment pour faire un geste symbolique et prononcer un "grand discours".