Pour la première fois, Londres a admis l’implication d’agents de l’État dans le meurtre, en 1989, de l’avocat défenseur des droits de l’Homme, le Nord-irlandais Pat Finucane. Sa famille réclame toujours la tenue d’une enquête indépendante.
Un crime effroyable. L’homme a été criblé de balles – 14 impacts ont été relevés sur son corps – à son domicile par deux individus cagoulés, sous les yeux de ses trois jeunes enfants et de sa femme. C’était le 12 février 1989 à Belfast. La victime avait 39 ans, et se nommait Pat Finucane. Cet avocat pénaliste de renom s’était spécialisé dans la défense des droits de l’Homme. Ses principaux clients étaient des membres de l’Irish Republican Army (IRA) et de l’Irish National Libertation Army (INLA), des organisations paramilitaires militant pour le rattachement de l’Irlande du Nord, province du Royaume-Uni, à la République d’Irlande.
L’assassinat a rapidement été revendiqué par l’UDA (Ulster Defence Association), groupe loyaliste, favorable au maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni. Mais au fur et à mesure de l’enquête, de lourds soupçons se sont fait jour quant à l’implication des services secrets britanniques dans l’assassinat de Pat Finucane. Seul Ken Barrett, membre de l’UDA, impliqué dans plusieurs autres crimes, a été arrêté en mai 2003. Jugé en 2004, il a été condamné à 22 ans de prison, et n’en a purgé que trois.
"La complicité inacceptable d’agents britanniques"
L’élimination de Pat Finucane reste l’un des crimes les plus controversés des années de guerre civile en Irlande du Nord. Au point de faire de nouveau les gros titres 23 ans plus tard. Car pour la première fois, le Premier ministre britannique David Cameron a reconnu la "complicité inacceptable" d’agents britanniques dans la mort de l’avocat. Un crime qu’il a qualifié de "choquant", d’"inacceptable" et d’"effroyable". Selon un rapport, établi par le célèbre avocat britannique Sir Desmond de Silva, "deux agents, qui travaillaient à l’époque pour les services gouvernementaux" et "une autre personne recrutée après le meurtre dans un service de l’État", ont été impliqués dans le meurtre. Devant le Parlement, David Cameron a présenté ses excuses à la famille de Patrick Finucane.
Une main tendue, que Geraldine Finucane, la femme de l’avocat assassiné, n’a saisi que du bout des doigts. "J’accepte ses excuses mais ça n’ira pas plus loin car je ne sais pas trop de quoi il s’excuse", a-t-elle déclaré mercredi à la presse, à l’issue de l’audience de Cameron devant le Parlement. "Malheureusement, je crois qu’il se sent assez peu concerné par l’Irlande du Nord ou ce qu’il s’y est passé dans les années 80. Donc peut-être n’est-ce pas très difficile pour lui de s’excuser", a-t-elle ajouté visiblement amère.
Une colère sourde alimentée par des années de doutes. Vingt-trois ans qu’elle, ses fils et son beau-frère, se battent pour que soit diligentée une enquête publique indépendante sur l’implication des forces de sécurité britanniques dans la mort de Pat Finucane. En vain. Malgré les demandes répétées de la famille, malgré une injonction de l’envoyé spécial de l’ONU en 1998, puis de la Cour européenne des droits de l’Homme en 2003, et, enfin, malgré les recommandations, en 2004, du juge canadien Peter Cory, chargé par les gouvernements irlandais et britanniques d’enquêter sur la mort de l’avocat, jamais les services secrets britanniques n’ont été inquiétés.
"Ce rapport est une escroquerie"
Seul un rapport, celui dont David Cameron a lu les conclusions mercredi, a été commandé. Et, au grand dam de la famille, bien qu’il admette l’intervention d’agents britanniques, il écarte en revanche toute "conspiration générale au niveau de l’État pour tuer Pat Finucane", et réfute l’implication de ministres de l’époque. "On nous demande de croire mot pour mot à un rapport commandé par le gouvernement britannique lui-même. C’est une imposture, une escroquerie présentée comme un examen indépendant", a réagi Geraldine Finucane. "Nous n’avons pas été consultés, nous n’avons vu aucun document ni entendu aucun témoin", a-t-elle déploré.
L’UDA, qui a revendiqué l’assassinat de l’avocat, a été profondément infiltré par trois différentes agences de renseignements britanniques au plus dur du conflit en Irlande du Nord, dans les années 70, 80 et 90. Un officier de la Royal Ulster Constabulary, les forces de police nord-irlandaises, est notamment suspecté d’avoir, via un agent infiltré de l’État, incité l’organisation loyaliste à éliminer Pat Finucane.
Apparaissant calme et déterminée devant la presse, entourée de ses proches, Geraldine Finucane poursuit : "À chaque page, il apparaît clairement que ce rapport dit exactement ce qu’on lui a demandé de dire : il accorde le bénéfice du doute à l’État, à ses cabinets et à ses ministères, à l’armée, aux services secrets… À chaque page, des témoins décédés sont pointés du doigt, des agences dissoutes sont mises en cause. Mais le personnel et les organismes de l’État encore en service aujourd’hui semblent avoir été excusés. La poussière a été cachée sous le tapis, sans que rien de sérieux ne soit mis en œuvre pour découvrir ce qui est réellement arrivé à Pat et à tant d’autres."