Des villas de luxe, des hôtels chic, des femmes qui arborent des sacs Vuitton... Une classe riche s’affiche sans complexe à Ramallah, donnant une autre image de la Palestine récemment "promue" État observateur à l’ONU.
"En 2003, quand j’ai eu mon premier sac Gucci, personne ne savait ce que c’était. Aujourd’hui, mes amies s’arrachent ces griffes. Gucci, mais aussi Vuitton. Ramallah est en train de devenir comme Amman. Dans les taxis, les gens demandent au chauffeur de mettre Raya FM, une radio rock populaire. Ils ne veulent plus entendre parler de politique, ça les fatigue. La seule chose qui les préoccupe est l’état de leur portefeuille". C’est Dina Alladin qui le dit. Elle a 39 ans, lunettes Chanel plantées dans le brushing et Ipad à portée de main. Elle boit un verre au "lounge" de l’hôtel Mövenpick , un cinq étoiles de la métropole palestinienne, ouvert fin 2010. Le seul, pour l’instant, en Cisjordanie.
Journaliste à ses débuts, mutée au Qatar où elle a vécu six ans, Dina revient à Ramallah en 2009, embauchée par une banque qatarie nouvellement implantée. Elle est une incarnation parfaite de cette nouvelle élite, issue en majorité de la diaspora. "À partir de 2008, l’aide internationale est montée en flèche, avoisinant les 750 $ (575 €) par habitant et par an. Parallèlement, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a lancé son programme de "paix économique", favorisant la coopération et les échanges commerciaux avec l’Autorité Palestinienne pour y stimuler une économie au ralenti depuis la deuxième Intifada. Une embellie qui a encouragé la diaspora à revenir au pays et à y investir. Dans la foulée, plusieurs banques émiraties ont décidé de s’implanter", note Samir Abdullah, économiste à l'Economic Policy Research Institute de Ramallah. C’est ce que certains ont appelé le "miracle" économique de Ramallah : La banque, l’immobilier, et l’hôtellerie – restauration sont des secteurs en plein boom avec près de 40 % de croissance en trois ans .
Accueillir les riches
Il suffit de se promener dans le quartier branché et animé de Teereh pour le vérifier. Tche Tche, Beit Aniseh, Orojoun, le Royal Court, Mövenpick… Au moins une dizaine de bars, hôtels et restaurants chics reçoivent désormais ces nouveaux riches qui affichent sans complexe leur aisance matérielle.
L’Autorité ne trouve rien à y redire, bien au contraire : "Avant, Il n’y avait pas un seul endroit convenable pour accueillir une délégation diplomatique ou pour un repas d’affaires. Le resto le plus chic de Ramallah était le Kentucky Fried Chicken !" ironise Tawfik Boudeïri, responsable de la planification urbaine au ministère des collectivités locales. "Maintenant, nous pouvons accueillir dignement les hommes d’affaires palestiniens ou du Golfe, les diplomates et les Occidentaux". Beaucoup aiment se retrouver au café Zam’n, une adresse en vogue où l’on vient boire un verre et se régaler d’un snack (à 10 € la portion !). La jeunesse dorée en a fait son QG. Et tous les clients partagent les mêmes codes : "ceux d’une élite globalisée qui transporte ses racines dans son smartphone, une élite davantage liée à Amman et Dubaï qu’à Jénine et Hébron", écrit Benjamin Barthe, journaliste au Monde et auteur de "Ramallah Dream" (éditions La Découverte).
L’immobilier a naturellement bénéficié de ce nouveau climat . La construction haut de gamme explose car il y a une forte demande de logement de standing. Le quartier résidentiel huppé de Masyoun en témoigne. Là, des villas de luxe au style italien se vendent jusqu’à 1 million d’euros. Des grues campent sur chaque parcelle de terre et d’immenses panneaux publicitaires vantent la livraison prochaine de programmes luxueux.
Miracle ou mirage ?
Juste en dessous, pointe une classe moyenne supérieure. Avide de consommation, elle aussi veut s’offrir une part du rêve des riches. Elle fréquente donc les lieux à la mode, mais seulement "une fois de temps en temps", raconte Salma.
Employée dans une ONG locale elle gagne quand même 1 200 $ par mois (environ 900 €). Avec son mari (payé le double par une société privée), ils sont propriétaires de leur appartement, possèdent chacun leur voiture, et ont scolarisé leurs deux enfants à l’école française. "Tout cela, c’est grâce au crédit. Ce ne sont pas nos salaires qui nous permettraient ce confort de vie". En 2008, rassurées par la mise en ordre financière et sécuritaire de la Cisjordanie, sous la houlette du premier ministre Salam Fayyad, les banques (palestiniennes, jordaniennes ou des Émirats) ont ouvert en grand le robinet à crédit. En deux ans, les encours aux entreprises et aux ménages ont augmenté de 66 % et les prêts s’étalent sur 25 ans. Voitures, appartements, scolarité, prêts à la consommation… tout paraît possible.
Ces nouveaux "nababs" de Ramallah sont-ils pour autant le signe d’un développement économique durable ? Le moteur d’une croissance tant attendue par les Palestiniens ? Benjamin Barthe en doute : "Cette bourgeoisie est largement improductive. Le miracle économique palestinien n’est qu’un mirage, circonscrit à quelques strates de la société. Et le contexte politique est porteur d’inquiétudes, après le vote de l’ONU accordant le statut d’État observateur à la Palestine : si Israël mettait ses menaces de sanctions à exécution, la diaspora et les investisseurs étrangers pourraient être tentés par d’autres cieux."