Dans le cadre de sa tournée asiatique, le président américain s'est rendu ce lundi à Rangoun où il s'est entretenu avec l'opposante Ang San Suu Kyi et le président Thein Sein. Une visite historique qui n'est pas dénuée d'arrières-pensées économiques.
C’est une première pour un président américain en exercice : Barack Obama est en Birmanie pour une visite historique de six heures, le temps de rencontrer son homologue Thein Sein et l’opposante Aung San Suu Kyi à Rangoun.
Le président américain a été accueilli lundi 19 novembre par des écoliers en chemise blanche et longyi vert, la tenue traditionnelle birmane, rassemblés en masse le long des trottoirs, scandant parfois joyeusement "Amérique". Plus spontanés, des dizaines de milliers de badauds tentaient d'immortaliser l'instant en prenant des photos.
Barack Obama, qui s'adressait à la presse en compagnie du président Thein Sein, a qualifié cette visite de "premier pas de ce qui sera un long voyage". "Nous pensons qu'un processus de réformes démocratiques et économiques comme celui que le président a entamé ici [en Birmanie] peut mener à d'incroyables opportunités en matière de développement", a-t-il ajouté.
it"Récompenser les progrès"
Ce déplacement aurait été inconcevable il y a encore quelques années, quand la Birmanie était dirigée par une junte militaire (1988-2011) et que Washington faisait figure d’ennemi numéro un. Pendant deux décennies, la Birmanie, mis au ban de la communauté internationale, ne s’appuyait que sur la Chine pour ses échanges commerciaux. Mais depuis la dissolution de la junte en mars 2011, le président nouvellement élu Thein Sein a multiplié les réformes en libérant notamment des centaines de prisonniers politiques et en permettant le retour de l’icône de la démocratie Aung San Suu Kyi dans le jeu politique.
Cette visite vise ainsi à récompenser les "progrès" effectués par le gouvernement birman. Mais le déplacement de Barack Obama est aussi l’occasion, selon Cyril Payen, l'envoyé spécial de FRANCE 24 à Rangoun, "de cimenter ce que le président a initié il y a moins de deux ans". Le rapprochement entre la Birmanie et les États-Unis a débuté bien avant la chute de la dictature birmane. Dès son arrivée au pouvoir début 2009, Barack Obama, qui cherchait à se démarquer de son prédécesseur George W. Bush en réorientant la politique étrangère des États-Unis vers l'Asie, a décidé d'ouvrir le dialogue avec la junte. "Une façon de contrer l'influence de Pékin", précise Cyril Payen. En mars 2009, la Birmanie a accepté de travailler avec Washington, ouvrant la voie à des visites d’officiels américains à Rangoun, et notamment celle d’Hillary Clinton en décembre 2011.
Face aux signes d’ouverture de Rangoun, les États-Unis ont progressivement levé leurs sanctions commerciales imposées depuis 2003 et multiplié les gestes envers le nouveau régime. Autre signe fort du réchauffement des relations entre les deux pays : la nomination en juillet d’un ambassadeur américain en Birmanie depuis juillet, une première depuis 22 ans. Puis en septembre, alors que Barack Obama recevait Aung San Suu Kyi à la Maison Blanche, Washington retirait de sa "liste noire" le chef de l'État birman Thein Sein, qui est devenu le 27 septembre dernier le premier chef d’État birman à prononcer un discours à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York.
Des dizaines de prisonniers libérés
Toutefois, certains défenseurs des droits de l'Homme reprochent à Barack Obama d'aller trop vite dans son rapprochement avec le nouveau régime, estimant qu'il convient de consolider encore les réformes après des décennies de pouvoir militaire. Lors de sa visite, le président américain a rappelé que les deux dirigeants avaient "convenu que le développement de la démocratie et la promotion des droits de l'homme au Myanmar devaient être conformes aux normes internationales". Un peu plus tôt dans la journée, des dizaines de prisonniers politiques ont été libérés.
Lors d'un discours à l'université de Rangoun, Barack Obama a également lancé un appel solennel à la fin des violences communautaires dans l'ouest du pays, estimant qu'il n'y avait "pas d'excuse" pour la violence contre les civils. Deux vagues de violences opposant bouddhistes de l'ethnie rakhine et musulmans, en juin et en octobre, ont fait au moins 180 morts. Plus de 110 000 personnes ont été déplacées, en grande majorité des Rohingyas, considérés par l'ONU comme une des minorités les plus persécutées de la planète.
"Profiter du gâteau birman"
Il semblerait que le véritable moteur de ce voyage repose surtout sur des intérêts économiques. La venue du président américain à Rangoun doit "offrir de nouvelles occasions aux entreprises birmanes et américaines", annoncent le département du Trésor et le département d'État dans un communiqué. Désormais en route vers une société plus ouverte, la Birmanie est aussi devenue un marché où il est permis d'investir et de vendre. Et les États-Unis ne souhaitent pas rater le coche.
Quatre jours avant l’arrivée du président américain dans le pays, les États-Unis ont levé l'interdiction d'investir en Birmanie, y compris dans les secteurs controversés du gaz et du pétrole. Le gouvernement américain a également autorisé l'importation de la plupart des biens produits en Birmanie, à l'exception de la jadéite et des rubis. "Les sociétés américaines se bousculent pour profiter au plus vite du ‘gâteau birman’, commente Cyril Payen. C'est tout le message d'Obama : ‘business et démocratie’."
Washington pourrait annoncer la reprise de l'aide américaine, qui devrait représenter 170 millions de dollars pour l'exercice fiscal 2012-2013. Cette aide restera toutefois conditionnée à la poursuite des réformes, précise-t-on à la Maison Blanche.