L'escalade de violence meurtrière entre le Hamas et l’État hébreu s'est poursuivie vendredi, tandis que l'armée israélienne prépare une éventuelle opération terrestre. Frédéric Encel décrypte la situation pour FRANCE 24.
L'opération militaire de l’État hébreu "Pilier de défense" contre le Hamas dans la bande de Gaza est entrée dans son troisième jour, vendredi 16 novembre. L'armée israélienne a intensifié ses préparatifs pour une éventuelle opération terrestre après trois jours de frappes aériennes contre l'enclave palestinienne contrôlée par le mouvement islamiste.
Le Hamas, n’a pas mis un terme aux tirs de roquettes sur le territoire israélien pour autant. Une roquette a frappé, vendredi, les environs de Jérusalem, une première dans l'histoire du conflit israélo-palestinien, tombant dans le bloc de colonies du Goush Etzion, en Cisjordanie.
Contacté par FRANCE 24, Frédéric Encel, professeur à l'ESG Management School et auteur de l'"Atlas géopolitique d'Israël", livre son analyse sur les conséquences politiques éventuelles de cette crise sur ses protagonistes.
France 24 - Quelles peuvent être les conséquences politiques pour le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, qui est en campagne pour les législatives prévues le 22 janvier 2013, de cette flambée de violence entre Israël et le Hamas ?
Frédéric Encel - L’opération "Pilier de défense" est évidemment liée à des considérations sécuritaires, mais elles sont indissociables de considérations politiques. Benjamin Netanyahou cherche, en pleine campagne électorale, à montrer sa fermeté sur la question de la sécurité d’Israël en envoyant un message fort au Hamas. C’est essentiel pour un Premier ministre qui tente de se faire réélire.Pour l’instant, nous sommes dans le cadre d’un affrontement militaire, c'est-à-dire tirs de roquettes contre raids aériens.
Cependant, s’il prend la responsabilité d’engager l’armée terrestre dans le conflit actuel, qui se traduirait donc par une guerre, il pourrait essuyer des conséquences politiquement désastreuses. Car dans ce cas précis, l’armée israélienne pourrait enregistrer des pertes humaines qui auraient inévitablement des répercussions négatives sur l’opinion publique israélienne et les médias locaux. Par conséquent, il prend le risque que l’effet recherché avec cette opération serait l’inverse de celle espérée. Et nul n’a oublié que la guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006 avait été fatale politiquement pour l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert. En même temps, il ne pouvait pas se permettre de ne rien faire pour mettre un terme aux tirs de roquettes depuis la bande de Gaza, à quelques mois des législatives. Même s’il est donné vainqueur du scrutin par les sondages, l’opinion israélienne est tellement volatile que nul n’est à l’abri d’une déconvenue électorale dans ce pays.
F24 - Inversement, quelles peuvent être les répercussions de cette crise sur le Hamas, de facto au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007 ?
F. E. - Ces évènements tombent mal pour ce mouvement islamiste car il s’est évertué à se construire une légitimé diplomatique depuis l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Égypte et la récente visite de l’émir du Qatar. Tout au long de l’année 2012, le Hamas a eu besoin de démontrer qu’il était le seul maître à bord de la bande de Gaza. Et pour cause, il a été débordé par des djihadistes en provenance de la bande de Gaza qui ont réussi, au cours du mois d’août , à s’infiltrer dans le Sinaï pour frapper l’armée égyptienne.
Cet évènement a démontré aux puissances régionales que le Hamas était loin de contrôler l’intégralité de ce territoire. D’ailleurs, la majorité des roquettes tirées ces dernières semaines en direction de l’État hébreu n’était pas du fait de ce mouvement, mais de groupuscules concurrents. Ce qui remet en cause, sur le plan interne, sa posture de premier résistant à Israël, et le pousse lui aussi à procéder à tirs, car dans le cas contraire, cela serait interprété comme un aveu de faiblesse. Si le conflit dure dans le temps, il risque à termes de lourdes pertes logistiques et militaires.
F24 - Qu’en est-il des Égyptiens qui sont, malgré eux, le troisième acteur de cette crise ?
F. E. - L’Égypte est prise en tenaille dans ce conflit puisque le président issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi, doit lutter sur deux fronts. Le premier est interne, où le courant islamiste très sensible à la question palestinienne, a recueilli près de 65 % des suffrages lors des dernières législatives. Par conséquent, Morsi ne peut se contenter de rester passif face aux raids sur la bande de Gaza, même s’il s’agit de positions militaires du Hamas. La rue égyptienne, notamment ses électeurs, pourrait le lui reprocher très rapidement. Par ailleurs, il sait parfaitement que l’accord de paix avec Israël doit être maintenu. Il est dans une contradiction totale avec son opinion publique et sa marge de manœuvre est étroite. Après avoir rappelé son ambassadeur en Israël, il ne peut que faire pression sur le Hamas pour faire baisser la tension ou du moins éviter qu’il ne joue la carte du durcissement.